Design

Design it again Sam !

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 7 février 2003 - 707 mots

Les designers ont parfois la bougeotte. C’est le cas de l’Anglais Sam Hecht qui, aussitôt après ses études, à Londres, est parti travailler en Israël, puis aux États-Unis et enfin au Japon, avant de revenir s’installer en Grande-Bretagne où il vient d’ouvrir sa propre agence.

Vous vous souvenez sans doute de cette publicité pour des petits carrés de chocolat : “Un peu de tendresse dans un monde de brutes”. La devise convient à merveille à Sam Hecht et à son travail : instiller un peu de douceur dans un univers de technologie, faire une tendre chatouille dans le dos glacé du design. Le designer anglais s’en est d’ailleurs fait une spécialité. D’abord, il a beaucoup observé tics, us et coutumes de l’être humain urbain, des filles notamment. Quelle prouesse que de se maquiller en tenant à la fois le miroir, le tube de rouge à lèvres et le bouchon dudit tube ! Sam Hecht, lui, a trouvé l’astuce : rendre solidaires les trois entités en magnétisant leur surface (001). Mieux : combien d’entre elles, en particulier celles qui portent des cheveux longs, musardent l’été avec une paire de lunettes en guise de serre-tête ? Lui a tout simplement inversé la proposition, retenu la forme sans l’usage, et dessiné un serre-tête qui à l’apparence... d’une paire de lunettes (Hairglasses). Il suffisait d’y penser.
Avec Hecht, la vie quotidienne passe au tamis de la légèreté. Le couvercle d’un grille-pain se retourne pour devenir un porte-toasts (XY, Matsushita, 1999). 12 Light Years, luminaire moulé en polyuréthane souple et translucide, protège l’ampoule et fait aussi office d’abat-jour. Enfin, si une poignée de porte se manie aussi facilement qu’une clé plate, rien de plus logique : c’est exactement le même mouvement qui est requis. Côté esthétique, Sam Hecht serait plutôt un adepte de Mies van der Rohe – “Moins c’est plus”. Lui dit : “Moins l’on perçoit l’effort du designer dans son travail, mieux c’est.” Ce qui ne l’empêche pas de frôler parfois la poésie. Ainsi de l’horloge Space-Time, qui joue avec malice sur la notion d’espace et de temps, au sens propre comme au figuré. Les trois aiguilles ne sont pas plaquées les unes sur les autres, mais  déployées au-dessus du cadran, chacune à une hauteur différente. L’horloge devient en quelque sorte une représentation en volume du temps qui passe, une frêle sculpture dont on ne pourra néanmoins lire l’heure que de face.
Sam Hecht serait-il quelque part un étudiant attardé, avec ses objets qui arborent encore la fraîcheur innocente des projets d’école ? Assurément non. À trente-quatre ans, son parcours est déjà manifeste. Diplômé en 1993 en design industriel au Royal College of Art, à Londres, il fait un passage chez l’architecte anglais David Chipperfield, avant de rejoindre, en 1994, à San Francisco, la fameuse agence de design IDEO, avec laquelle il collaborera jusqu’en 2002, notamment aux côtés de Naoto Fukusawa, dans la filiale nippone IDEO Japon, puis, à partir de 1999, en tant que responsable du design industriel de IDEO Europe à Londres. Il produira notamment toute une série d’appareils à la technologie sophistiquée, mais présentant cette particularité d’être mous, tel ce clavier d’ordinateur souple (ElekTek) et Softphone (Eleksen, 2000), une montre-téléphone, dont le bracelet comporte les touches.
L’an passé, pour la nouvelle boutique Prada édifiée à New York par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas, le designer a conçu toute l’informatique portable à l’usage des vendeurs. Ces derniers peuvent désormais, grâce à un petit ordinateur muni d’un laser, contrôler l’état des stocks sans perdre de vue le client. C’est à ce moment-là que Sam Hecht a eu quelques doutes : “En tant que responsable du design, je faisais somme toute plus de management que de création.” En quête d’autres idéaux, il a quitté IDEO pour fonder sa propre agence, baptisée “Industrial Facility”. En anglais, “facility” signifie aussi bien équipements/matériels/services, que... facilité. Preuve tangible que le fait de se mettre à son compte ne lui a pas ôté son humour. Il a d’ailleurs dessiné une éponge ronde et épaisse, divisée en huit parts, comme un gâteau. En cuisine et en anglais, un “sponge cake” est en fait une “génoise”. Sam Hecht a préféré la traduction littérale : “gâteau en éponge”. Le design, c’est parfois simple comme un bon jeu de mots.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°164 du 7 février 2003, avec le titre suivant : Design it again Sam !

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque