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Denys Zacharopoulos, directeur artistique du Musée macédonien d’art contemporain à Thessalonique

« Engendrer de nouvelles perspectives »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2009 - 1699 mots

Après avoir été codirecteur de la Documenta IX à Cassel en 1992, directeur du Domaine de Kerguéhennec, centre d’art contemporain, en Bretagne de 1992 à 1999, et inspecteur général de la création à la délégation aux Arts plastiques de 1999 à 2000, Denys Zacharopoulos est, depuis 2006, directeur artistique du Musée macédonien d’art contemporain à Thessalonique. Il est le commissaire de l’exposition « La première image » actuellement présentée à Sète. Il commente l’actualité.

Vous êtes le commissaire de l’exposition « La première image » qui réunit vingt-quatre artistes grecs au CRAC Languedoc-Roussillon à Sète. Quels étaient les objectifs de cette exposition ?
Tout d’abord, j’ai été invité à présenter des jeunes artistes grecs et une certaine dimension méditerranéenne. Mais je ne voulais pas tomber dans le cliché. Je suis parti de l’espace du lieu, des salles, et j’ai formulé une proposition extrêmement subjective autour de quelques artistes que j’admire. Mais je me suis rendu compte que je n’avais retenu que des hommes ! Or il y a en Grèce un nombre exceptionnel d’artistes femmes. Je n’ai jamais eu à chercher dans mes projets des femmes alibis. J’en ai été choqué au point d’appeler quelques artistes femmes pour leur demander si l’exclusion sexiste incarnait le trait méditerranéen ! Cela a nourri ma réflexion. J’ai alors réalisé que j’avais surtout retenu dans le travail des hommes un côté très fragmentaire dans la relation des œuvres à l’espace, au temps, au discours. Les artistes choisis restaient dans une fragilité, une absence, alors que j’avais le sentiment que les femmes auraient occupé tout l’espace, l’auraient absorbé. La question portait surtout sur la continuité et la discontinuité du discours et de la mémoire. Je me suis aussi rendu compte que la narration, bannie de la radicalité plastique, avait trouvé en Grèce une dimension particulière dans la part de l’image qui vient du cinéma. Ce n’est pas une affaire de médium mais de structure. Les artistes qui ont fait des performances dans les années 1960-1970 n’ont traité le langage de la représentation et de l’image en dehors de l’événement que dans les décennies 1980-1990. Or Leda Papaconstantinou commence en 1969 à faire de vrais films-performances en Angleterre, tout comme Klonaris/Thomadaki, à Paris, où elles occupent depuis les années 1970 une place d’exception. Entre les années 1980 et 1990, avec Antoinetta Angelidi, issue de la première promotion de l’Idhec [Institut des hautes études cinématographiques] à Paris, jusqu’à Constantin Giannaris, issu du milieu de Derek Jarman à Londres, il y a un travail plastique exemplaire à l’intérieur de l’écriture cinématographique même. C’est une autre lecture du travail fait par les artistes en confrontant les femmes et les hommes, laquelle donne un aspect de la réalité artistique peu pris en compte jusqu’à présent. Sans modifier alors la conception de l’intérieur, j’ai décidé de dédoubler l’espace de l’exposition en installant un cinéma en plein air devant le centre d’art pour y projeter les films de douze artistes, le soir. Le travail de l’exposition a consisté à ausculter l’écriture des œuvres jour et nuit.

Finalement, quel est le propos de l’exposition ?
Ces nouvelles données ont permis de formuler un propos cohérent par rapport aux médias et à la façon de les utiliser, en mettant en jeu cette problématique « homme-femme » pour laquelle je n’ai pas de réponse. Deux fois douze artistes (malgré la vision généalogique, pour la plupart très jeunes) se partagent un intérieur et un extérieur, un espace tridimensionnel et un espace de projection, une succession de salles et un flux de récits. L’ensemble offre aussi un aspect inattendu pour les œuvres des artistes hommes qui sont exceptionnelles d’une autre façon. Il manquait cependant une chose : le titre de l’exposition. Je me suis souvenu du texte d’un grand écrivain grec, Taktsis (1), un scandale ambulant, qui s’appelait « La première image ». Cela venait justifier le processus et les interrogations qui ont produit l’exposition. Ce texte, émouvant et dur, est essentiel pour définir le rapport que nous avons à l’image dans un espace où elle ne se fige jamais. L’exposition a trouvé son sens. Elle est le fruit de ce que doit être un travail de centre d’art tel qu’on l’a pensé en France : engendrer de nouvelles perspectives, de nouvelles relations.

Ce projet arrive dans un contexte de multiplication des expositions centrées sur des scènes artistiques nationales, à l’exemple de « La force de l’art ». Comment avez-vous abordé cette question ?
Dans l’exposition, il n’y a aucun échantillonnage. Même si certaines pièces ont été produites pour l’exposition, il importait de permettre avant tout à vingt-quatre artistes de revoir leurs œuvres, leurs relations à l’espace, à la pensée, aux autres, et à l’art en général. Permettre à chacun de relancer son inventaire des différences me semble être le propos de l’exposition. En Grèce, le combat pour la langue est quotidien. Nous avons vécu en moins d’un siècle de rudes chocs linguistiques – qui continuent entre les adeptes d’une langue artificiellement simplifiée et d’une langue mixte et complexe. La question du langage est primordiale dans l’exposition. La mixité des langages est probablement le trait méditerranéen…

Tous ces artistes sont-ils régulièrement exposés dans leur pays ?
Avec l’entrée de la Grèce dans la zone euro et la perspective des Jeux olympiques à Athènes en 2004, le ministère grec de la Culture a enfin cédé à la pression sociale et à la volonté de certains conservateurs, et a créé un musée national d’art contemporain. Il a aussi accepté qu’il y ait un musée équivalent à Thessalonique en achetant la collection Costakis, un ensemble absolument extraordinaire. Récemment, pour l’exposition « Rodtchenko et Popova », présentée à la Tate Modern à Londres, plus d’un tiers des œuvres venaient de Thessalonique ! Pendant longtemps, les expositions organisées dans le pays n’avaient qu’une dimension introspective, isolationniste, nationaliste, officielle.

Dans ce contexte, pourquoi avez-vous quitté la France pour retourner en Grèce ?
Un concours de circonstances a fait qu’en 2000, en quittant le ministère français de la Culture, je me suis retrouvé dans le pays de mon enfance. J’ai alors senti l’air du grand large. De nouvelles perspectives m’ont apparu à un moment où, en France, après une grande période faste qui avait permis une réelle décentralisation pour laquelle je m’étais personnellement engagé, on assistait plutôt à un retour à un parisianisme de salon. En même temps, l’apparition de discours identitaires ou régionalistes a privilégié tous les poncifs… En citoyen français, en serviteur de la République, je me refusais à imaginer une France qui se complaise dans le franco-français et qui se prête à sacrifier au populisme le soutien à la création. En Grèce, malgré l’absence de moyens, je me suis retrouvé à un moment d’ouverture au monde, même si les contradictions sont énormes et font que la crise grecque a précédé celle internationale.

Même si les musées grecs sont récents, mis à part le vôtre, le Musée macédonien d’art contemporain de Thessalonique, certains collectionneurs privés sont très importants, comme Dakis Joannou. Celui-ci est-il isolé ?
Dakis est l’un des tout premiers et des plus connus. Il a rendu publique une vaste collection sur un concept d’« objectivité » qui réunit de la valeur et de la notoriété à l’américaine. Il possède de très belles œuvres. Cela est le cas pour plusieurs autres collections dorénavant, moins connues mais non moins importantes. Il y a un grand nombre de réels amateurs d’art et quelques collections incontournables dans les régions. La plus belle collection à mes yeux réunit de façon plus « subjective » des œuvres inscrites dans la tradition européenne. La réalité grecque est perçue au même titre que celle internationale. On y trouve des artistes très jeunes auprès de figures comme Franz West ou [Alighiero e] Boetti, mais aussi Fernand Léger. Le collectionneur se veut anonyme. Il a créé un institut pour l’art et la pensée, associant les œuvres à l’histoire et à la sensibilité. On trouve en Grèce un ensemble important de collectionneurs, de galeries, de musées, une foire, la biennale d’Athènes et celle de Thessalonique, et, avant tout, de très bons artistes.

Revenons en France. Comment avez-vous accueilli la nomination du nouveau ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand ?
J’ai toujours admiré sa personnalité. Je l’ai connu quand il avait son cinéma dans le 14e [arrondissement de Paris] où il accueillait personnellement les spectateurs. C’est un homme de terrain. Son film Lettre d’amour en Somalie est magnifique. Le nom de sa famille a fait l’honneur de la France. J’espère non pas qu’il sera à la hauteur, ce dont je ne doute pas, mais qu’il trouvera les moyens de défendre un projet. Le ministère est un terrain de bataille très dur dans une époque où le politique accorde très peu d’intérêt à la culture, et la plupart du temps en confondant « culture » et « événementiel ».

En même temps que les 30 ans du Musée macédonien d’art contemporain, la vie artistique semble très active dans la ville de Thessalonique. Qu’est-ce qui s’y distingue à vos yeux ?
Notre musée est issu d’une initiative citoyenne et a irrigué par son volontarisme, depuis sa création, le terrain local et national. Grâce à la donation d’Alexandre Iolas, la collection réunit un très bel ensemble d’artistes français, italiens, américains et compte aujourd’hui quelque 2 000 œuvres. Nous sommes la seule collection d’art contemporain exposée en permanence alors que des ensembles d’œuvres forment des expositions qui voyagent dans les régions. À Thessalonique, plusieurs institutions artistiques collaborent sur la programmation des expositions temporaires. La Biennale en est un exemple réussi [jusqu’au 27 sept.]. L’édition de cette année recueille les propositions des trois commissaires – Bisi Silva, Gabriela Salgado et Syrago Tsiara – en un seul lieu dans le port. Notre musée fait partie du programme parallèle et présente un état des lieux de la jeune peinture et une rétrospective d’Eugenia Apostolou. L’exposition « La première image » sera présentée en novembre dans notre musée pour fêter nos 30 ans en même temps que les 50 ans du Festival de cinéma, alors que, dans cinq autres musées, des commissaires internationaux réagissent sur le concept de « première image » à partir d’expériences et de positions différentes.

(1) Costas Taktsis, La Petite Monnaie, éd. Gallimard, 1987, d’où est tiré « La première image ».

LA PREMIÈRE IMAGE, Jusqu’au 27 septembre, Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon, 26, quai Aspirant-Herber, 34200 Sète, tél. 04 67 74 59 57, tlj sauf mardi 12h30 à 19h, sam.-dim. 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : Denys Zacharopoulos, directeur artistique du Musée macédonien d’art contemporain à Thessalonique

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