Commémoration

De Verdun à l’Australie

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 14 janvier 2014 - 680 mots

Alors que le dernier poilu de la Grande Guerre s’est éteint en 2008, le monde s’apprête à commémorer cette période charnière de l’histoire contemporaine, soit quatre ans de carnages qui ont changé les sociétés et les régimes politiques dans le monde entier, causant vingt millions de morts.

Si le Bicentenaire de la Révolution, en 1989, avait célébré la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) et le patriotisme français, ce Centenaire est chargé de bien d’autres symboles et connotations. « Avec la Grande Guerre, on passe du solaire au tellurique, en imposant la présence, à l’infini, de la mort. […] Présence intense, à tous les détours des paysages, des monuments aux morts, des cimetières, des ossuaires, des musées, des photographies familiales ou répandues, des vitraux même dans les mairies et dans les églises, toutes réalités vouées à reprendre leur sombre intensité », écrit l’historien et l’ancien homme politique Jean-Noël Jeanneney (1), qui dirigea en 1989 les célébrations du Bicentenaire. En 2014, point de célébration, mais des temps d’études au travers de colloques, de souvenirs grâce à des expositions, de mémoire lors de rassemblements autour sur les sites historiques.

La figure du poilu, au centre des manifestations
Dès 2011, l’État engage la réflexion sur la teneur de l’événement, au niveau national et international. Universitaires, politiques, associations, tous s’accordent sur son importance, du point de vue civique et intellectuel. Aujourd’hui, la programmation mise en place pour l’année 2014 est répartie sur tout le territoire français, mais les régions du Nord et de l’Est apparaissent comme les plus volontaires dans l’organisation des actions culturelles. Si la mort a touché tous les départements français, la réalité des combats reste encore dans les mémoires des habitants d’Arras ou de Reims, détruite à 60 %, bien plus que dans celles des départements d’arrière-front. Certes Clemenceau est mis à l’honneur, parmi les grands hommes de la guerre, mais c’est bien la figure du poilu, soldat anonyme mais présent dans l’inconscient collectif, qui se retrouvera au centre des expositions et des débats.

Depuis trois ans, les institutions et les chercheurs ont travaillé à une programmation non exempte de polémiques, liées à la question des fusillés, objet encore de discussions, à l’importance mémorielle rapportée à la connaissance universitaire, ou encore à l’épineuse notion de nationalisme. Des points d’achoppement qui ressurgiront inéluctablement dans le débat.
La France n’est pas seule dans cette commémoration. Près de 72 pays ont été entraînés dans le conflit. La Belgique a mis en place un important calendrier, malgré un fédéralisme de plus en plus marqué : le « Grand Centenaire en Flandre » préparé par le gouvernement flamand ne faisait aucune mention de la Belgique jusqu’au début de l’année 2013. Depuis, une commission nationale a été mise en place pour fédérer toutes les régions, y compris celles intégrées à la Prusse en 1914.

Au Royaume-Uni, la commémoration sera d’importance, avec 65 millions de livres sterling (78,2 millions d’euros) dévolues au Centenaire avec un point d’orgue en août 2014. En Allemagne, l’intérêt de la commémoration est apparu tardivement [lire ci-dessous]. L’année 2014 voit aussi la célébrartion des 25 ans de la Chute du mur de Berlin. Mais les Länder ont multiplié les initiatives transfrontalières, percevant l’importance de la notion d’amitié européenne. Étonnamment, les plus volontaristes se trouvent de l’autre côté du Globe : en Australie et en Nouvelle-Zélande. L’identité nationale australienne s’est forgée en 1915 autour du débarquement de l’Anzac (Australian and New Zealand Army Corps) dans le détroit des Dardanelles (Turquie). Le gouvernement australien a annoncé un budget de 65 millions d’euros pour la commémoration, un montant significatif, et a également subventionné la rénovation de sites sur le territoire français. En Nouvelle-Zélande, le Centenaire suscite un intérêt sans précédent pour cette période et des appels nationaux à contribution ont été lancés pour mieux connaître l’implication du pays dans la guerre. Grand absent de l’événement, le Conseil de l’Europe n’a pour l’instant montré qu’une relative indifférence aux commémorations nationales.

En France, chemins de mémoires, sites de batailles et musées s’apprêtent donc à recevoir des visiteurs du monde entier.

Note

(1) La Grande Guerre, si loin, si proche. Réflexions sur un Centenaire, éd. du Seuil, septembre 2013, 176 p., 16 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : De Verdun à l’Australie

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