Design

Couper le souffle

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 11 janvier 2002 - 724 mots

En avril dernier, au Salon du meuble de Milan, nombre d’objets ont fait sensation, mais celui-là fut à n’en point douter le plus poétique : la lampe B.L.O., du Néerlandais Marcel Wanders, une version high-tech de ce que les férus d’antiquités appellent un “rat-de-cave”?.

Après plusieurs mois de mises au point minutieuses, la voici enfin qui sort en magasin. Plus que sa silhouette, c’est son principe qui fascine. Comme jadis on le faisait avec la flamme d’une bougie,
il suffit de souffler sur l’ampoule pour l’éteindre... ou pour l’allumer. Explication : celle-ci est munie d’un capteur acoustique ultra-sensible qui réagit au moindre souffle. Sont donc évidemment proscrites... les quintes de toux !
Dessiné pour la firme italienne Flos, cet objet est à lui seul emblématique de la philosophie de son créateur qui, à trente-huit ans, s’avère l’un des designers les plus originaux du moment. La lampe B.L.O. étonne, car Marcel Wanders s’amuse à y mélanger les métaphores, associant une forme vieillotte à une technologie sophistiquée. Cette curieuse hybridation donne évidemment naissance à l’étrangeté, à l’instar de sa Knotted Chair (Cappellini), ou “chaise nouée”, qu’il met au point en 1995 avec l’aide du laboratoire d’astronautique de l’Institut polytechnique de Delft, aux Pays-Bas. Wanders mixe alors un procédé ancien, le macramé, et une matière ultra-contemporaine, une “ficelle” de carbone gainée de fibre aramide. Le procédé consiste à former une chaise “molle” qui, une fois plongée dans la résine époxyde et séchée à 80 °C, se solidifie. La surprise provient notamment du fait que le macramé, habituellement sans structure, se métamorphose soudain en un matériau solide sur lequel on peut s’asseoir. Si le designer sait jouer à merveille de cette trompeuse apparence, il cherche surtout à créer un objet qui puisse être produit en série tout en ayant un air ancien, de façon à ne pas se démoder trop rapidement. Car Wanders milite pour des relations à long terme entre l’objet et son l’utilisateur : “La longévité dans le domaine des idées, des relations, des objets, etc., permet non seulement de créer un monde où l’on gaspille moins, mais également des relations plus profondes et constructives avec notre environnement”, dit-il. Discours écolo qu’il a appris à manier, tout au long des années 1990, dans les rangs du fameux collectif batave Droog Design, lequel, à rebours d’un design esthétisant, privilégie un style sobre – droog en néerlandais signifie “sec” – et fait du recyclage l’un de ses axes de recherche majeurs. La grande force du design de Marcel Wanders, c’est qu’il part du quotidien pour provoquer l’inattendu, place le familier dans une position non familière ou qui pourrait paraître inappropriée. D’un simple tuyau percé, il fait une douche (Boffi). Avec deux paniers en osier retournés l’un sur l’autre, il conçoit un fauteuil pour le parc d’Oranienbaum, en Allemagne.

Service de table préfectoral
Wanders n’hésite pas à détourner la fonction propre des objets. Le tapis en laine Nomad (Cappellini) intègre un élément de bois qui, une fois relevé, fait office de dossier, et les Floor Lamps de la série “Shadows” (Cappellini) sont des luminaires géants dont le pied est aussi un abat-jour. Il s’empare allègrement des formes ou des matières venues d’ailleurs, en particulier pour cette série en porcelaine que le designer édite lui-même (www.moooi.com) : la coupe Foam Bowl imite à la perfection la texture de la mousse, le Sponge Vase l’aspect poreux d’une éponge, et le Eggshell Vase la silhouette de la coquille d’œuf. Cette démarche singulière a même séduit... le préfet de la Région Alsace, Philippe Marland qui, avec Jean-Yves Bainier, conseiller pour les arts plastiques, a fait appel à lui pour remplacer le service de table préfectoral actuel, une impériale porcelaine de Meissen tendance Guillaume II. Au menu : une série d’assiettes “aléatoires”, réalisées dans un même moule mais avec une quantité de “pâte” différente pour chacune, et une collection de 120 vases et bougeoirs s’inspirant d’une bouteille de vin d’Alsace standard, argentés comme l’intérieur d’un Thermos. S’il passe l’épreuve du four, le “service Wanders” devrait voir le jour cette année... preuve que le design aura toujours besoin d’un zeste d’humour.

- La lampe B.L.O. de Flos est disponible en quatre couleurs : argent, bleu cobalt, gris translucide et jaune translucide, et dispose de deux niveaux de réglage selon la force du souffle. Prix conseillé : 98 euros. Renseignements Flos : 01 53 59 58 88.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : Couper le souffle

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque