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Clémence Kzrentowski-Boucher, la force du mental

Par Constance Rubini · L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 886 mots

PARIS

On dit que ce qui fait la différence parmi les grands sportifs, c’est leur mental. Golfeuse émérite, Clémence Kzrentowski-Boucher a monté sa société comme on se lance dans un championnat, avec ténacité. Avec ses longs cheveux bruns, son regard vif et son sourire amusé, c’est son esprit compétitif qui permet à cette jeune femme de faire le poids face aux grands patrons de l’industrie.

En 1992, vous avez créé avec votre mari Didier Kzrentowski l’agence Kreo. Quel était votre objectif ?
Notre ambition était de convaincre les industriels de faire appel à des créateurs afin de concevoir leurs produits. Notre premier projet s’est fait avec le designer Martin Szekely pour la conception du podium des Jeux olympiques d’Albertville.

Dix ans après, à quoi ressemble l’agence Kreo ? Combien êtes-vous et quels sont les profils de vos
collaborateurs ?
Nous sommes sept et nous avons tous reçu une formation d’école de commerce. L’agence représente un certain nombre de créateurs auprès de l’industrie, notamment Martin Szekely ou Ronan et Erwan Bouroullec. Selon la spécificité du projet, on choisit de s’adresser à l’un d’entre eux.

Pourquoi les entreprises font-elles appel à vous ? Est-ce pour une question d’image ?
Non, on ne nous demande pas un lifting de la société mais une refonte en profondeur d’un produit : les projets mettent entre un à trois ans à sortir. La technologie ne permettant plus aujourd’hui de différencier les produits, on fait appel à nous pour de la création de valeur. Il ne s’agit pas de revoir un dessin mais de repenser la façon dont on aborde l’objet. Lorsque Martin Szekely réalise le fauteuil de cinéma love seat pour MK2, il réfléchit à l’atmosphère du cinéma et prend en compte l’inscription du fauteuil dans la salle. Sa réponse est cohérente par rapport à la façon particulière dont Marin Karmitz aborde le cinéma. Le travail du designer nourrit la cohérence d’une marque, elle contribue à son
positionnement.

Comment et dans quelle mesure l’agence intervient-elle ?
Nous avons une activité de conseil et de suivi de projet. Tout d’abord, on recommande un designer. Parfois, on collabore au cahier des charges. Les projets manquent souvent de contraintes, notamment du point de vue de la sécurité ou de la viabilité des produits, questions auxquelles nous avons l’habitude de réfléchir. Puis il y a le suivi de création. On s’assure que le projet est bien compris par le designer et plus tard, on vérifie que son travail y correspond. Si plusieurs hypothèses sont avancées, on sélectionne le projet à soumettre à l’entreprise.
Parallèlement, l’agence réalise pour le client des textes de présentation et bâtit un argumentaire pour que notre interlocuteur puisse porter le projet en interne. On se charge enfin de trouver le maquettiste et d’assurer le suivi de fabrication. L’agence est également amenée à réfléchir au lancement du produit.

Pour le créateur, quel rôle assurez-vous en tant qu’agent ?
L’agence assume les négociations juridiques et commerciales, rédige les contrats, et gère les relations avec le maquettiste ou le prototypiste : on effectue tout ce qui accompagne la création.
Il existe beaucoup d’agences de design, certaines, comme Dragon rouge ou CB’A, sont, en chiffre, plus grosses que vous.

Malgré cela, vous réussissez à fidéliser des clients très importants comme Ricard, CanalSatellite ou Legrand. Quelle est votre spécificité ?
À l’inverse de ces agences qui ont développé une spécialité, nous préférons travailler pour des sociétés très variées. Notre force est dans la mise en place des projets. En tant qu’agent de créateurs, nous savons cibler celui qui sera le plus efficace pour tel ou tel projet. Nous sommes pionnier dans cette activité de conseil.

Mais les entreprises ne sont-elles pas inquiètes à l’idée de s’engager avec un créateur habitué à travailler sans contrainte ?
L’image du créateur-diva soulève en effet une méfiance. Le rôle pédagogique que l’agence exerce auprès des entreprises est décisif : on explique que les designers sont habitués à travailler avec des contraintes, à la différence des artistes. La grande force de Kreo est de regrouper deux activités complémentaires : l’agence et la galerie, créée par Didier en 1999. L’agence représente les créateurs qui choisissent de travailler avec l’industrie et qui décident de se mettre au service d’une entreprise. Ils s’effacent derrière le projet sans difficulté puisque, parallèlement, ils signent leur travail personnel qui est visible à la galerie. Il n’y a donc pas de frustration à disparaître derrière un projet. Cette double démarche génère un équilibre idéal. Ce n’est pas leur nom que le client vient chercher mais leurs compétences personnelles hors du commun qui rendent les choses différentes. L’entreprise gagne à utiliser le regard extérieur du créateur. Par sa réflexion, celui-ci définit un besoin et redonne du sens aux objets.

Si vous n’avez pas de domaine de prédilection, y a-t-il tout du moins des secteurs privilégiés ou au contraire hermétiques ?
Nous n’avons pas de secteur privilégié, ce qui nous plaît c’est de pouvoir croiser des expériences aussi différentes qu’un verre pour Perrier ou un pylône électrique. C’est très enrichissant car les savoir-faire d’un secteur peuvent toujours être utiles ailleurs. En revanche, il y a un domaine qui nous est totalement hermétique, c’est l’industrie automobile. Lorsque Ford, par exemple, fait travailler Marc Newson, ils ne dépassent pas le stade du concept car. Et pourtant, nous rêvons de travailler sur le sujet !

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Clémence Kzrentowski-Boucher, la force du mental

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