Italie - Justice - Musée

Cinq des nominations des « super » directeurs des musées italiens annulées

Par Carole Blumenfeld · lejournaldesarts.fr

Le 29 mai 2017 - 1012 mots

ROME / ITALIE

ROME (ITALIE) [29.05.17] – Le tribunal administratif du Lazio vient d’annuler cinq des vingt nominations d’août 2015 de super directeurs des plus grands musées italiens. Le débat fait rage en Italie sur cette décision et au-delà sur la procédure elle-même de sélection des candidats.

L’appel international à candidatures pour prendre la tête des vingt plus grands musées italiens avait été très médiatisé en 2015. Le Tribunale Amministrativo Regionale per il Lazio (TAR) vient pourtant d’annuler cinq des vingt nominations : Martino Bagnoli au Palazzo Ducale e Galleria Estense di Modena, Carmelo Malacrino au Museo Archeologico di Reggio Calabria, Eva degl’Innocenti au Museo Archeologico di Taranto, Peter Asserman au Palazzo Ducale di Mantova et Paolo Giulierini au Museo Nazionale di Napoli.

Parmi les recours déposés par les candidats malheureux au concours, deux ont été reçus : celui de Giovanni Paolozzi Maiorca Strozzi, aujourd’hui soprintendente à Parme et celui de Francesco Sirano. Etonnamment ce dernier, alors qu’il s’était opposé à la procédure du ministère et au concours de 2015, s’est pourtant porté candidat au concours suivant prévu par la seconde phase de la réforme Franceschini et il vient d’être nommé à la tête du Parco Archeologico di Ercolano. Sirano a expliqué au Journal des Arts ne pas vouloir commenter la mise à pied de ses collègues dont il est à l’origine.

Une kyrielle de réactions animent la presse et les réseaux sociaux depuis jeudi dernier. Dario Franceschini, ministre de la Culture, toujours en exercice, a lancé le bal, se disant « sans voix. » Deux heures plus tard, c’était au tour de Matteo Renzi, qui n’est plus Président du Conseil depuis quelques mois mais qui prépare son grand retour. Sur Facebook, il a affirmé qu’une des décisions dont il est et restera le plus fier a été de donner la possibilité aux meilleurs de se porter candidat pour la direction des musées italiens « patrimoine mondial de l’humanité », l’erreur selon lui, fut de ne pas avoir essayé de changer les tribunaux administratifs régionaux. Un message partagé plus de 2 300 fois, « liké » 16 000 fois, accompagné de plus de 2 850 commentaires.

En attendant la décision du Conseil d’Etat qui devra statuer en tenant compte des lois communautaires puisque le ministère a fait appel, les directeurs des pôles régionaux des musées ont été nommés par intérim à la tête des 5 musées orphelins.

Or si les politiciens jouent les vierges effarouchées dans la presse, la vraie question est de savoir comment le gouvernement Renzi a-t-il pu laisser des vices de formes entacher sa reforme ? Les deux décisions judiciaires font état par exemple d’auditions menées sur skype, d’épreuves orales « portes closes », mais surtout et c’est tout le sens de la première décision (n. 6171), d’un problème de fond lié à la nationalité des candidats. Selon l’article 38 de la loi 165 de 2001, les dirigeants d’administrations publiques doivent être italiens, et pour contourner ce point, il aurait été nécessaire de prévoir des circonstances dérogatoires. Or l’annonce du concours publiée par le MIBACT « il bando » évoquait bien des standards de sélection internationaux, mais pas des « candidatures internationales. »

Le professeur Tomaso Montanari, plume très célèbre de La Republica, se dit dans un entretien au Journal des Arts, profondément choqué par l’attitude des politiques : « Nous avons pris l’habitude depuis Berlusconi de parler de complot lorsqu’une décision de justice ne va pas dans le sens que l’on souhaiterait, or l’indépendance de l’autorité judiciaire est le premier garant de la démocratie et il y a ici clairement un problème de droit. D’ailleurs dans cette affaire, il ne faut pas oublier que les politiques ont justement voulu choisir des personnalités dépendantes du pouvoir pour remplacer les directeurs des musées italiens qui étaient justement indépendants. Comment une commission de cinq personnes, si brillantes soient-elles (Paolo Baratta, président de la Biennale de Venise, Lorenzo Casini de La Sapienza, Claudia Ferrazzi, Secrétaire générale de l’Académie de France à Rome, Luca Giuliani Recteur de la Wissenschaftskolleg à Berlino et Nicholas Penny, alors directeur de la National Gallery à Londres) a-t-elle pu se charger des procédures de sélection des dirigeants de vingt institutions différentes, en faisant passer des entretiens de quinze minutes seulement ? Pour accéder au poste de Senior Curator du Getty, Davide Gasparotto, alors directeur de la Galleria Estense de Modène, a passé en 2014 des journées et des journées d’audition ! »

A l’opposé, non sans humour, le Français Sylvain Bellenger, nommé en 2015 directeur de Capodimonte, considère que « Ce débat, au final est une querelle entre les partisans du repli sur soi et au contraire, ceux qui sont désireux d’une ouverture aux compétences européennes et internationales, d’une introduction des langues étrangères dans la communication des structures, d’une des nouvelles générations, celles nées avec ou après l’ordinateur un outil qui implique un langage, un moyen de communication et de conception et non une simple machine à écrire électrique ! Il faut rappeler comment étaient choisis les directeurs des musées avant la réforme. Deux ou trois barons de l’administration muséale confisquaient depuis des décennies la culture pour une petite élite. Il s’agit maintenant de faire entrer les musées dans la logique prônée par l’ICOM (diffusion de la culture au plus grand nombre, place primordiale de la pédagogie, ouverture à tous les publics). »

Sauvé pour un vice de procédure d’un des deux recours, après avoir été annoncé partant, Gabriel Zuchtriegel directeur du Parco archeologico di Paestum, se dit bouleversé par les messages de soutien, mais aussi très inquiet de l’impact de la décision du TAR : « Les étrangers penseront à deux fois avant de venir travailler en Italie – la commission de sélection du directeur du Parco Archeologico del Colosseo devrait achever ses travaux le 30 juin prochain – et l’image des institutions culturelles italiennes risque d’en pâtir considérablement. » Sylvain Bellenger est plus optimiste : « Je ne crois pas que cette petite tempête, aussi désagréable soit-elle, aura un effet déstabilisant pour nos structures. La levée de boucliers et de solidarité extraordinaire du public local montre bien qu’ils ont conscience du travail réalisé. L’idée de retourner en arrière les terrorise. En revanche elle déstabilise beaucoup les habitants des quartiers limitrophes qui ont avec les nouvelles directions un rapport beaucoup plus ouvert. »

Légende photo

Le Palazzo Ducale de Modène, Italie © Photo Dread83 - 2008 - Licence CC BY-SA 3.0

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