Disparition

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Chu Teh-Chun, le silence

Artiste franco-chinois à la renommée internationale, et parmi les plus prisés du marché de l’art, Chu Teh-Chun s’est éteint le 25 mars à Paris dans sa quatre-vingt-quatorzième année

Par Colin Lemoine · Le Journal des Arts

Le 8 avril 2014 - 727 mots

Le peintre français d’origine chinoise Chu Teh-Chun est décédé le 25 mars à l’âge de 93 ans. Formé à la calligraphie, Chu Teh-Chun a trouvé sa voie à Paris. Ce héraut de l’abstraction lyrique, célébré dans les musées de sa Chine natale et consacré par le marché de l’art international, était membre de l’Académie des beaux-arts depuis 1997.

PARIS - Cadet d’une famille de trois fils, Chu Teh-Chun naquit à Baitou Zhen en Chine le 24 octobre 1920, en pleine année du singe. Une tutelle prédestinée pour celui qui, si tôt, voulut devenir artiste, scrutateur du réel, singeur de la nature. Une ambition que son père médecin, collectionneur de peinture traditionnelle chinoise, ne contraria pas : ici, au cœur du xian de Xiao, dans cette contrée lointaine où seules les collines succèdent aux collines, peindre relevait du sacerdoce.

En 1935, le jeune homme rejoignit Hangzhou, une ville qui n’était pas une mégapole tentaculaire avec ses faux quartiers haussmanniens et ses buildings démultipliés, mais une cité singulière, où le maître Lin Fengmian, depuis l’École des beaux-arts, inoculait à ses élèves le venin de la peinture. Il permit au jeune Chu d’en connaître très tôt l’adret oriental et, chose rare, l’ubac occidental.

Le 7 juillet 1937, avec le début de la guerre sino-japonaise, les universités durent migrer vers l’ouest. Inexorablement. Nomadisme forcé, forcené, cinq années durant. Sans pour autant altérer la carrière de Chu Teh-Chun, qui fut diplômé au Sichuan en 1941, et devint, à tout juste 22 ans, professeur titulaire à l’université de Nankin, alors repliée près de Chongqing. Après trois années passées à enseigner le dessin, en ce pays où la jeunesse valait pour source vive, le jeune artiste regagna Nankin par le Yangzi Jiang. De cette odyssée sur les rivages et les rapides du fleuve Bleu, Chu tira quelque huit cents dessins comme autant de répudiations de son ancienne manière, tantôt académique, tantôt patriotique. Il n’en reste aujourd’hui plus rien.

Bien qu’il se révélât dès 1949 un formidable enseignant, son professorat à Taïpeh n’éroda pas les irrépressibles envies d’ailleurs de Chu Teh-Chun qui, en 1955, soit sept ans après Zao Wou-ki, son exact contemporain, fit de Paris le terme d’un voyage commencé à Taïwan et poursuivi par Saïgon, Ceylan puis l’Égypte. Dans la Ville Lumière, tout ne fut que révélation : le Louvre et ses chefs-d’œuvre, l’Académie de Grande Chaumière et ses leçons, les galeries et leurs marchands, la liberté et ses griseries.

Staël, la révélation
En 1956, sa rencontre avec la peinture de Nicolas de Staël, lors de l’exposition abritée par le Musée national d’art moderne, fut pour l’artiste chinois, à la jeunesse inentamée, une découverte décisive. La ressemblance et l’invention n’étaient pas nécessairement solidaires et le geste trouvait dans la gestualité une exaspération merveilleuse : « De Staël fut pour moi une grande révélation. Auparavant j’étais un peintre objectif […]. J’ai ressenti avec évidence la liberté d’expression. »
Le Chinois, que la rétrospective parisienne consacrée à Rembrandt, en 1969, confirma dans sa manière, abandonna rapidement ses tentatives figuratives pour des œuvres abstraites dont le jaillissement chromatique (Lueurs, 1968), l’éclatement de l’espace (Transparence glacière, 1987) et la hardiesse souveraine (Après la coupe des adieux, le silence de la grande steppe, 2001) rappellent celles des compagnons de cordée Georges Mathieu et Jean-Paul Riopelle.

Après la Galerie du Haut-Pavé à Paris en 1958, le Carnegie Art Museum de Pittsburgh en 1964, la Biennale de São Paulo hébergea, en 1969 les œuvres de Chu, désormais réclamé dans les deux hémisphères. En 1983, la Chine fêta enfin son enfant prodigue, rénovateur de la calligraphie, héraut des mondes intérieurs qu’une grande rétrospective célébra à Taïpeh en 1987. Sacré à Singapour et au Canada, à Hongkong et à Paris, où la Pinacothèque lui rendit hommage cet hiver, Chu devint membre de l’Académie des beaux-arts en 1997 et conserva longtemps son humble appartement, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis).

Ses porcelaines, dont certaines furent présentées au Musée Guimet en 2009, donnèrent récemment lieu à de sinistres controverses opposant les héritiers de l’artiste à des marchands. La faute à cet accident vasculaire cérébral qui, ayant privé Chu Teh-Chun de parole, attisa les mauvaises voix. La faute, sans doute, à ces montants de centaines de milliers d’euros atteints allégrement par ses œuvres. Sombre épilogue pour un artiste qui, ayant refusé les chinoiseries faciles comme les abstractions convenues, veilla à ne jamais abandonner son identité ni son intégrité.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : Chu Teh-Chun, le silence

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