Christian Têtedoie : « la particularité de la cuisine lyonnaise tient à ses femmes »

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 23 février 2012 - 976 mots

À Lyon, le Musée Gadagne conte l’histoire de la gastronomie lyonnaise jusqu’aux dernières tendances culinaireas. Entretien avec un architecte du renouveau de la gastronomie lyonnaise.

L’œil : L’exposition révèle que l’art du bien-manger à Lyon colle à l’histoire, en particulier sociale et économique, de la ville et qu’il est indissociable de l’art de vivre lyonnais. Rabelais, Érasme, Stendhal en témoignent. Qu’est-ce qui vous a enraciné dans cette gastronomie lyonnaise ?
Christian Têtedoie : D’origine nantaise, je suis venu à Lyon à 17 ans car je voulais travailler chez Paul Bocuse, symbole de la gastronomie tout court – mon parrain, pour mes 14 ans, m’avait offert son livre La Cuisine du marché. C’est Bocuse qui a sorti le chef de sa cuisine, qui a diffusé au plus grand nombre la culture culinaire et qui a compris les enjeux du rayonnement de la cuisine française. Il a recréé, avec Michel Guérard et Jean et Pierre Troisgros, des bases. Tous les quatre se sont engagés dans le respect du produit, aussi bien dans sa valeur nutritive que gustative. Avec Paul Bocuse et des plats comme la soupe à la jambe de bois [n.d.l.r. gigantesque pot-au-feu dans lequel entrent différentes viandes], j’ai pris la mesure de ce qu’était la cuisine lyonnaise.

L’œil : Cuisine lyonnaise qui bénéficie d’abord d’une situation géographique privilégiée…
Ch. T. : Autour de la ville, dans un rayon de cent kilomètres, on bénéficie effectivement d’une variété de produits vertigineuse et de qualité, en viandes, gibiers, légumes, fruits et vins liés aux différents terroirs qui la bordent. Je pense que la gastronomie lyonnaise est le bien-manger le plus riche de toute la France, son berceau nourricier est énorme. Mais la grande particularité de cette cuisine lyonnaise tient à ces femmes, filles de paysans ou de canuts, qui ont inventé une cuisine à partir de produits de base les moins chers et qui ont régalé leurs convives avec du « pas-grand-chose ».

Ce qu’ont fait la mère Fillioux, la Mélie, la mère Brazier – première femme distinguée en 1933 par trois étoiles au Michelin auprès de laquelle Paul Bocuse a fait ses débuts – me subjugue. Ces femmes qui ne payaient pas de mine, qui n’avaient pas d’éducation et qui avaient souvent commencé comme petite main dans les familles bourgeoises de la ville ont réussi, grâce à leur intelligence et à leur savoir-faire, à ouvrir leur restaurant et à mettre tout le monde autour de la même table, y compris les grands bourgeois. Les chefs lyonnais ont fait grandir cette cuisine avec leur temps, les goûts et les attentes des uns et des autres tout en respectant cette tradition. Ils ont inventé de nouveaux plats sur cette base traditionnelle tandis que les bouchons – les cafés-comptoirs – perpétuent une cuisine à base d’abats, de quenelle…

L’œil : Qu’avez-vous puisé dans cette gastronomie lyonnaise ?
Ch. T. : Quelques éléments comme la tête de veau pour « le homard tête de veau braisé au jus de carotte crue » ou le « gratin à l’andouillette ». Gratin qu’ont d’ailleurs repris les bouchons. Le Lyonnais est un client exigeant qui ne veut pas perdre ses repères, car il porte en lui une éducation culinaire transmise par sa mère et sa grand-mère. Quand j’ai réinventé en 1987 la pomme de terre farcie à la queue de bœuf, je n’ai pas pu l’enlever de la carte pendant vingt ans !

L’œil : Comment qualifieriez-vous cette gastronomie lyonnaise ?
Ch. T. : Elle est intelligente parce qu’elle sait utiliser tous les morceaux de viande jusqu’aux plus pauvres (pied de cochon, tête de veau, cœur, foie, poumon…). Intelligente car elle a su aussi de tout temps jouer la convivialité, la simplicité et rassembler autour du repas, comme le montre l’exposition, les mères qui offrent à leurs clients des salons discrets où hommes politiques et hommes d’affaires se retrouvent, mais aussi les bouchons où l’on peut encore aujourd’hui manger abats, museau, quenelle…

J’apprécie à ce titre le classement par l’Unesco du « repas gastronomique des Français » au rang de patrimoine mondial de l’humanité. Il a fallu cependant la témérité de Julia Csergo, professeur des traditions et comportements culinaires à Lyon II, pour faire admettre cet intitulé auprès des responsables français qui préféraient concourir pour une reconnaissance de « la gastronomie française » comme tant d’autres pays tentent de le faire pour leur propre gastronomie. Alors que le repas gastronomique, en France, est une pratique sociale, un fait culturel.

Homard tête de veau

Pour 6 personnes

• Braiser la tête de veau roulée avec les carottes, les oignons, l’eau et le sel pendant 12 h. L’ouvrir ensuite tiède, dégraisser légèrement, plaquer, presser et refroidir. Assaisonner avant de la dresser. Décortiquer les 3 homards vivants (détacher la queue de la tête et des deux pinces), plonger les queues ficelées par deux dans une eau bouillante salée pendant 4 mn. Les refroidir dans une eau glacée puis les couper en deux dans le sens de la largeur. Réserver dans un linge propre avant de les faire sauter au beurre et au sel en les arrosant. Réserver la ½ queue de la carapace pour le dressage.
• Garniture : peler 1 navet long, le tailler en rectangle et le faire confire dans un jus de homard (25 cl), jus d’oranges (1 kg) et d’un mélange de poivres. Refroidir et réserver. Peler 1 betterave, la tailler en cubes de 2 cm de côté et confire comme précédemment. Glacer 18 châtaignes au jus de veau (5 cl) à la minute.
• Sauce : Faire sauter à l’huile fumante les têtes de homard, déglacer et flamber avec 4 cl cognac, ajouter 1 carotte, 1 oignon, le gros sel et mouiller à hauteur. Cuire 1 h en écumant à frémissement. Réduire de moitié la base du jus de homard (25 cl), ajouter 25 cl de jus de carottes réduit de moitié aussi. Monter avec 100 g de beurre. Puis dresser.

« Gourmandises ! Histoire de la gastronomie à Lyon »

Musées Gadagne, 1, place du Petit-Collège, Lyon-5e, www.gadagne.musees.lyon.fr, jusqu’au 29 avril 2012.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : Christian Têtedoie : « la particularité de la cuisine lyonnaise tient à ses femmes »

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