Cézanne et Pissarro, une cascade de chefs-d’œuvre

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 mars 2006 - 558 mots

À une époque en quête de modernité et qui vit surgir l’impressionnisme, l’œuvre peinte de Cézanne et de Pissarro des années 1865-1885 compte un grand nombre de chefs-d’œuvre.

La mine bonhomme, le visage enfoui dans une épaisse barbe et la tête coiffée d’une casquette aux bords relevés, le portrait en buste que Pissarro réalise de son ami Cézanne en 1874 est d’une impressionnante présence. Sur un fond où l’on repère la figure de Courbet et la une du journal satirique L’Éclipse, se découpe la massive silhouette du peintre que rien ne semble pouvoir distraire. Il est tout à ses pensées, les yeux grands ouverts, le regard jeté loin devant lui.
Fugitif, saisi de la pointe de son crayon, en quelques traits synthétiques, le portrait dessiné de Pissarro que Cézanne jette sur le papier pourrait laisser à penser qu’il s’agit là d’un portrait croisé. D’autant que la façon dont la figure de Pissarro, de profil, est reportée dans le quart supérieur gauche de la feuille de papier permet d’imaginer qu’il est devant un chevalet. Mais l’œuvre de Cézanne précède d’un an celle de Pissarro. Portrait croisé, certes, mais dans le temps !
Dans un face-à-face puissant avec lui-même, l’autoportrait de Pissarro daté de 1873 le montre pareillement en plein buste, dans une monumentalité que radoucissent sa barbe généreuse, son regard complice et son crâne à moitié chauve. L’artiste pose là comme il le ferait devant un sculpteur, pour l’histoire.
Si l’autoportrait est un genre que Cézanne n’a cessé de pratiquer, ses natures mortes en sont à leur façon une autre expression. Celle dite Nature morte à la soupière, peinte par l’artiste vers 1873-1874, marque le début chez lui de l’abandon des couleurs atmosphériques de l’impressionnisme pour faire place à l’intensité du ton local.

« Pissarro piquait », tandis que « Cézanne plaquait »
La couleur peu à peu gagne son autonomie et la forme se simplifie. Le motif de la pomme y préfigure ce qu’il deviendra par la suite dans toute l’œuvre du peintre, un simple objet plastique.
Si, avec l’impressionnisme, le paysage conquiert toutes ses lettres de noblesse, force est de considérer qu’il n’est somme toute qu’un prétexte pour les artistes à exprimer leur rapport au monde. Il n’est plus un genre, il est une manière d’être. Les peintures de paysages de Pissarro sont toujours pour lui l’occasion d’illustrer le quotidien de la vie rurale. Tantôt il en anime la vue en y plaçant ceux qui en sont les acteurs, comme dans La Causette, chemin du chou à Pontoise (1874) ou dans Un carrefour à l’Hermitage (1876). Tantôt il en propose un angle qui met l’accent sur la partie travaillée de la terre, comme dans Potager, arbres en fleurs, printemps, Pontoise (1877).
Image culte de la période impressionniste de Cézanne, La Maison du pendu, Auvers-sur-Oise (1873) témoigne de la singularité de sa démarche par rapport à Pissarro. On rapporte qu’un paysan ayant vu les deux artistes au travail eut cette parole judicieuse : « M. Pissarro, en travaillant, piquait… et M. Cézanne plaquait. » Traitée comme s’il la sculptait, cette Maison du pendu offre par ailleurs – et comme toujours chez Cézanne à cette époque – un paysage solitaire, vide de toute présence humaine. Ainsi encore de ce Jardin à Maubuisson, près Pontoise (1877), bel et simple exemple de composition que structurent magnifiquement le végétal et le bâti.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°578 du 1 mars 2006, avec le titre suivant : Cézanne et Pissarro, une cascade de chefs-d’œuvre

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque