Art contemporain

Bernard Rancillac, un témoin de choc

Par Renaud Faroux · L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 777 mots

Rancillac a gardé de son expérience professorale un ton incisif et dogmatique. C’est un homme d’idées qui s’engage aussi bien par sa peinture que par ses écrits. Trois musées de province le mettent à l’honneur, et ses tableaux vont circuler en France, de Dole à Saint-Étienne en passant par le musée de l’hospice Saint-Roch d’Issoudun.

Parcourir une rétrospective de Rancillac, c’est comme ne pas manquer un festival consacré à Jean-Luc Godard, ou ingurgiter l’intégrale de Pierre Bourdieu. Leur travail n’est pas fait uniquement pour séduire mais pour éveiller la conscience. Derrière des lunettes de dignitaire du Parti des années de plomb, Rancillac observe notre quotidien dans ce qu’il a de plus commun et banal. Une simple photo, la une d’un magazine, une publicité prennent ensuite l’allure d’un discours critique, d’un décryptage à la Roland Barthes. Rien, dans ses tableaux ou ses objets, n’est vide de sens. Ses images, même celles qui semblent anodines – des personnages de B.D., des pin-up, des portraits de musiciens de jazz ou des footballeurs – donnent toujours à penser, permettent de ne pas oublier les combats de l’histoire et nous impliquent dans l’actualité.

À la fin des années 1950, après un passage à L’Atelier 17 chez William Hayter, Rancillac se laisse tenter par l’art informel selon l’air du temps. Très vite, il est influencé par le Pop Art américain et surtout par le peintre contestataire Peter Saul. Comme lui, il introduit dans ses tableaux l’univers de la bande dessinée. Rancillac explique : « L’étude structurelle de la B.D. va fournir un autre schéma à l’organisation du tableau, celui de la narration par séquences. Le graphisme, les personnages clés d’une nouvelle mythologie internationale : Mickey, Tarzan, Superman ou Tintin ; l’utilisation de la bulle, du sous-titre, des onomatopées manuscrites, la virulence des couleurs dites vulgaires reprises des éditions bon marché et des fanzines, la reproduction de la trame d’impression constituent les éléments d’un renouveau stylistique. » Avec lui la peinture prend une dimension politique, devient outil de communication plus qu’objet de contemplation avec, comme mot clé, la lisibilité. Quand on lui demande d’où vient son inspiration, il jette froidement : « On ne peut peindre que sur le canevas de ses émotions personnelles, de ses hantises, de ses angoisses. Les miennes, plus j’avance, sont d’ordre politique. »

Il transpose donc la réalité de son quotidien et de l’actualité à travers une figuration tonique, aux couleurs franches et au graphisme efficace. Il utilise un jeu subtil de confrontations inversées, de métaphores pour exprimer ce que lui inspire l’horreur de la guerre du Viêtnam, le combat des Black Panthers, l’emprisonnement et le suicide d’Ulrike Meinhof... Ainsi dans sa toile intitulée Sainte Mère la Vache, il décrit et explique : « Au-dessus d’un paysage désertique parcouru par deux Indiens chancelants, un gamin et une femme, agrippés à un bourricot porteur d’eau, j’ai placé dans un ciel d’un bleu carnassier, tel un soleil, une boîte de “Vache qui rit”, symbole de la société de consommation occidentale et rappel du carcan religieux hindouiste qui, en sacralisant la vache, la rend inconsommable à ces millions de malheureux qui crèvent la faim. J’utilise un moyen de composition dualiste pour traduire les rapports de force inadmissibles qui s’établissent entre les grandes puissances industrielles et tout ce qui se retrouve dans l’immense poubelle baptisée tiers monde. » Il continue de sa voix métallique : « Cette technique de rapprochement et de confrontation signifiante de plusieurs images en elles-mêmes banales et hypocritement insignifiantes, renvoie au principe de la dialectique marxiste. » Il refuse pourtant le discours intellectualiste et prône des procédés essentiellement picturaux : couleurs « flash » de l’acrylique, pochoirs et collages, sérigraphies, utilisation de l’épiscope, de photos, de vrais documents mais remodelés.

C’est un regard sur un monde de violence avec la relation de faits historiques (Cuba, Viêtnam, Chine, Paraguay, Palestine, Allemagne, Argentine, Algérie, Tchétchénie), une mise en question du quotidien brutal (prisons, voitures) même si des thèmes plus tendres apparaissent de temps en temps (le jazz, le cinéma, la femme inspiratrice) ; c’est un art de la dénonciation du racisme, de l’oppression, des violences, du voyeurisme mais que la beauté plastique et les recherches formelles élèvent au-dessus du témoignage ordinaire du simple tract placardé. Rappelons cependant que Rancillac fut l’un des « agitateurs » de l’Atelier populaire des beaux-arts de mai 68 et qu’on lui doit la fameuse affiche Nous sommes tous des Juifs et des Allemands.

Ses œuvres, par leur charge idéologique, véhiculent propagande ou information, mais surtout par leur puissance plastique et émotionnelle, démontrent que Rancillac est un véritable passeur d’idées, un éveilleur des consciences, un alchimiste moderne qui, de la boue du quotidien, a fait de l’or.

ISSOUDUN, musée de l’hospice Saint-Roch, 21 rue de l’hospice Saint-Roch, tél. 02 54 21 01 76, 28 mars-9 juin.

SAINT-ÉTIENNE, musée d’Art moderne, la Terrasse, tél. 04 77 79 52 52, 27 juin-29 septembre. - DOLE, musée des Beaux-arts, 85 rue des Arènes, tél. 03 84 79 25 85, 10 octobre-21 décembre.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Bernard Rancillac, un témoin de choc

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