Au cœur de Gustave Courbet

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 25 octobre 2007 - 720 mots

Paris consacre une grande rétrospective au peintre, la première depuis trente ans. L’occasion de rédécouvrir une œuvre exceptionnelle que l’on pensait perdue.

Trente ans après la dernière exposition monographique sur Gustave Courbet à Paris, les Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, renouvellent l’occasion d’admirer l’œuvre du peintre franc-comtois dans son ensemble. Trois décennies au cours desquelles le regard porté sur le père du réalisme n’a pas cessé d’évoluer. Outre la publication de sa correspondance en 1992, les essais audacieux d’historiens de l’art américains et l’exposition organisée à Brooklyn (États-Unis) en 1988 ont enrichi le champ d’étude que la rétrospective de 1977 avait circonscrit à la dimension sociale et politique du peintre.

L’intention des commissaires actuels est de replacer le travail de Courbet dans son époque, tout en s’attachant la complexité de sa vision. Dominique de Font-Réaulx et Laurence des Cars, toutes deux conservatrices au Musée d’Orsay, à Paris, ont écarté les aspects anecdotiques de la mythologie Courbet – ainsi le nombre élevé de ses prétendues conquêtes –, pour s’intéresser aux œuvres en tant que telles.

L’analyse individuelle des tableaux fait fréquemment allusion aux anciens, tels Titien, Rembrandt et Rubens pour les portraits ou les nus, le Caravage pour L’Après-dînée à Ornans (1849), mais aussi Géricault, Fragonard ou Delacroix. Si l’homme est vantard et mégalomane, le peintre sait regarder et s’imprégner de l’art de ses prédécesseurs. Appréhender l’œuvre de Courbet en oubliant le personnage est-il possible ? « Il est partout », concède Dominique de Font-Réaulx, avant d’ajouter : « On peut faire abstraction de l’homme mais pas du peintre. »

Érotisme terrien
La première salle du parcours de l’exposition aborde d’emblée cette problématique de l’omniprésence en réunissant tous les autoportraits, parmi lesquels le saisissant Portrait de l’artiste dit Le Désespéré. Qu’il s’agisse de portraits, de puissants paysages forestiers, de marines ou de nus flamboyants, l’esprit du peintre subsiste. Les notions d’intériorité, de subjectivité et de sensibilité mentionnées par les commissaires sont perceptibles tout au long de l’accrochage. La puissance de certaines œuvres est telle que les photographies d’époque, proposées en miroir, paraissent souvent superflues – la remise en contexte est ici strictement esthétique, peu de caricatures et aucune correspondance ne viennent témoigner de la naissance du réalisme.

La démonstration vaut notamment pour la salle consacrée au nu, où les nombreux clichés d’une coquinerie mièvre font vainement le contrepoint avec l’érotisme terrien des toiles. Par ailleurs, l’exiguïté de cette salle feutrée a beau renvoyer à l’intimité du thème, les nus auraient mérité plus d’espace. Remarquable en revanche est l’accrochage, thématique et chronologique à la fois, des paysages, avec les séries de Vague et de La Source de la Loue ; leur déploiement en nombre incline le visiteur à se perdre dans la vision du peintre. Malheureusement, la présentation perd en nervosité dans l’immensité des salles réservées aux scènes de chasse et aux derniers tableaux du peintre. Il aurait cependant été illogique de faire abstraction d’une époque cruciale pour l’artiste, « période mal-aimée » selon Laurence des Cars.

Pour des raisons techniques évidentes, l’exposition parisienne sera la seule à présenter les deux grands formats que sont L’Atelier du peintre (1855) et L’Enterrement à Ornans (1849-1850). Si le Musée Fabre, à Montpellier, accueillera en 2008 une version réduite de l’accrochage, le Metropolitan Museum of Art, à New York, pourra y adjoindre quelques œuvres issues de sa propre collection.
Ce voyage exceptionnel est aussi l’occasion pour le Musée d’Orsay de repenser totalement la scénographie et l’éclairage de ces deux chefs-d’œuvre dans le cadre d’une véritable salle consacrée à Courbet. D’ici là, au visiteur de profiter de cette réunion exceptionnelle d’œuvres trop rarement confrontées.

GUSTAVE COURBET

Jusqu’au 28 janvier 2008, Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr/gustavecourbet, tlj sauf mardi 10h-22h, 10h-20h le jeudi, 10h-18h les 24 et 31 décembre. Catalogue, éd. RMN, 480 p., 500 ill. coul., 49 euros, ISBN 978-2711852970. - Commissaires : Laurence des Cars et Dominique de Font-Réaulx, conservatrices au Musée d’Orsay ; Michel Hilaire, directeur du Musée Fabre à Montpellier ; Gary Tinterow, conservateur au département d’art du XIXe, moderne et contemporain, Metropolitan Museum of Art, New York - Nombre d’œuvres : 219 - Muséographie : Didier Blin, architecte DPLG - Mécénat : Fondation Bettencourt Schueller - L’exposition ira au Metropolitan Museum of Art, New York (27 février-18 mai 2008), puis au Musée Fabre, à Montpellier (14 juin-28 septembre 2008)

La femme retrouvée

Présence exceptionnelle que cette Femme nue couchée dans l’antre réservé aux nus féminins de l’exposition du Grand Palais. Exécuté en 1862, lors du séjour du peintre chez Étienne Baudry en Saintonge, ce superbe nu fut acquis par le baron hongrois Ferenc Hatvany en 1913. Saisie par l’Armée rouge en 1945, tandis qu’elle était conservée dans les coffres d’une banque de Budapest où Hatvany avait entreposé une partie de sa collection, la toile fut cédée par un soldat soviétique à un médecin de Bratislava (ex-Tchécoslovaquie). Alors que le monde de l’art la croyait définitivement perdue, La Femme nue couchée était demeurée dans la famille du médecin jusqu’à sa restitution aux héritiers Hatvany en 2005. Ces derniers ont approché Serge Lemoine, lui exprimant leur souhait de voir le tableau intégrer les collections françaises. Le directeur du Musée d’Orsay l’a aussitôt fait classer « œuvre d’intérêt patrimonial majeur », afin de recourir au soutien financier d’un mécène pour tenter d’acheter cette peinture estimée autour de 11 millions d’euros. Avis aux amateurs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°267 du 19 octobre 2007, avec le titre suivant : Au cœur de Gustave Courbet

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