Archives falsifiées à la Tate

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 4 décembre 1998 - 704 mots

John Drewe comparaît devant un tribunal de Londres pour avoir falsifié des documents d’archives de la Tate Gallery afin de certifier la provenance de faux tableaux. Il aurait engagé un peintre dans la misère pour réaliser des œuvres rappelant le style d’artistes tels que Sutherland, Nicholson, Giacometti, De Staël et Chagall.

LONDRES - Des poursuites ont été engagées en septembre par l’avocat de la Couronne John Bevan à l’encontre de John Drewe, pour avoir falsifié des documents d’archives de la Tate Gallery qu’il avait au préalable volés. Il avait fait un don de 20 000 livres sterling au musée en échange d’un accès privilégié aux archives. L’avocat a déclaré que Drewe avait été le cerveau de l’affaire de 1987 à 1996 : “Il a vite compris qu’en réalisant des contrefaçons de peintures de grands artistes du XXe siècle et en falsifiant des documents d’archives, il pourrait vendre à prix d’or des tableaux sans valeur (ainsi, un faux Nicholson s’est vendu 175 000 dollars aux États-Unis). Sa motivation première était de gagner de l’argent, mais les efforts qu’il a déployés suggèrent qu’il éprouvait un réel plaisir intellectuel à tromper les gens et à se jouer des experts”. John Myatt, qui a peint les faux tableaux, a reconnu sa culpabilité et rétrocédé 18 000 livres sterling. “Artiste habile mais pauvre”, Drewe l’avait contacté après avoir repéré dans Private Eye Magazine son annonce proposant de peindre de “vrais faux”. Myatt recevait environ 250 livres par tableau.

John Drewe aurait recruté d’autres intermédiaires qui ont écoulé des faux en toute bonne foi. Il a ainsi convaincu Clive Bellman, ancien vendeur de climatiseurs, qu’il était chercheur en physique nucléaire et avait besoin de vendre des tableaux pour acheter des documents d’archives russes démontant la théorie révisionniste selon laquelle l’Holocauste n’aurait jamais existé. Clive Bellman, qui est juif, a présenté les tableaux à Christie’s, Sotheby’s et aux grandes galeries du West End, persuadé qu’il s’agissait d’œuvres authentiques. John Drewe avait également contacté les familles de certains artistes décédés dans l’intention de leur faire authentifier ses faux tableaux. La veuve du peintre Nicolas de Staël est venue témoigner que Drewe lui avait soumis un tableau – présenté au jury – et a confirmé que “ce n’était pas une œuvre de (son) mari”. Drewe aurait même abusé de la confiance d’un ordre de prêtres catholiques, les Servites, pour obtenir des documents qui ont servi à authentifier plusieurs faux Sutherland peints par John Myatt.

Un médecin de Leeds avait acquis pour 4 234 livres, chez Phillips, Composition 51 qu’il croyait être de Nicholson. Mais lorsqu’il voulut le revendre en 1996, Christie’s a émis des réserves. La police a été avertie, l’œuvre saisie. Elle aurait été peinte par John Myatt, Drewe se chargeant de créer sa provenance. Le marchand londonien Peter Nahum avait lui aussi acheté un tableau certifié comme étant un Nicholson, Mexican, après s’être renseigné auprès de Jeremy Lewison, conservateur à la Tate. Mais, en 1995, il a pu établir que la toile était un faux et en informer la police.

L’archiviste de la Tate a révélé que John Drewe avait passé de longues heures aux archives en 1991, pour consulter les registres des galeries Hanover et Ohana. Jennifer Booth a reconnu que quelqu’un aurait pu extraire une feuille des dossiers, quand le personnel s’absentait un instant de la salle, et la remettre à sa place lors d’une visite ultérieure : pour preuve, un “ancien directeur” du musée avait réussi à sortir des documents, mais ayant “pris conscience de son geste”, il les a restitués. Le conservateur Sarah Fox-Pitt, responsable des acquisitions aux archives, a évoqué les relations qu’entretenait Drewe avec la Tate. Celui-ci avait d’abord proposé d’offrir une œuvre de Roger Bissière. La Tate était intéressée, mais une enquête à Paris auprès de la famille de l’artiste avait mis en doute son authenticité, et elle a décliné l’offre. Le conservateur a ajouté que John Drewe avait “fait un don de 20 000 livres pour l’élaboration du catalogue de la collection Clark” et que le musée s’attendait à en recevoir un autre “du même ordre” d’ici son achèvement. Une lettre de la Tate Gallery, lue au procès, indiquait que le musée avait été “bouleversé” par la générosité de Drewe. Affaire à suivre...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°72 du 4 décembre 1998, avec le titre suivant : Archives falsifiées à la Tate

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