Art contemporain

1997 : L’apparition d’artistes dans « la haine de l’art »

En France, quel fait artistique marquant (exposition, artiste, œuvre…) retenez-vous depuis 1955 ?

Par Philippe Dagen · L'ŒIL

Le 16 mars 2017 - 661 mots

Étant donné la question posée, elle ne peut recevoir que des réponses insatisfaisantes. L’histoire, pas plus celle des arts que celle des idées, ne s’écrit pas par grands prix et palmarès. Que telles façons de procéder, importées de l’économie et du spectacle, se soient depuis plusieurs décennies immiscées dans le monde de l’art, on peut le regretter et y reconnaître un changement aux conséquences souvent pénibles.

Puisque cette question impossible délie du devoir et de la prétention d’être complet, autant prendre le parti d’une réponse personnelle. S’il est un fait qui me semble marquant dans la création en France dans le dernier demi-siècle, c’est l’apparition, depuis deux décennies, d’artistes – une génération, le mot étant pris dans un sens large –, et que cette apparition se soit accomplie malgré des circonstances défavorables. Qu’elle ait eu lieu malgré tout. Nées et nés quelques années avant ou après le tournant 1960, ces artistes sont enfants ou à peine adolescents quand l’art français étouffe sous une masse de peintures abstraites, gestuelles, informelles – ou quelque autre label que l’on voudra –, encore une « école de Paris », officialisée par des musées une fois de plus très en retard  sur leur temps. On sait les effets désastreux de ce conformisme général que les Nouveaux Réalistes et quelques francs-tireurs – Jean-Jacques Lebel, Daniel Pommereulle, Erró – étaient alors seuls à refuser. On se souvient de Venise 1964. Résultat : un long temps de masochisme narcissique, de ressentiment provincial. Un long temps de répétitions et de simulacres aussi, pseudo-avant-gardes décalquées de New York et petites manifestations officielles « à la française ». Le présent se jouait ailleurs, aux États-Unis et en Allemagne. Pour les très rares débutants qui affirmaient leur singularité (Annette Messager, Christian Boltanski, Michel Journiac), mieux valait exposer à l’étranger, à Kassel par exemple. Il est donc remarquable que se soit néanmoins constituée peu à peu ce qu’on appelle, faute de mieux, une génération. Elle s’est « formée » plus souvent contre qu’avec, en s’opposant aux conformismes de toutes sortes, supposément théoriques et le plus souvent bureaucratiques. Elle a expérimenté dans la société française, si méfiante et si profondément bourgeoise, ce que j’ai appelé jadis « la haine de l’art » (1997), qui persiste aujourd’hui sous d’autres masques. Peu importent les biographies et les cartes d’identité de celles et ceux qui l’ont formée, évidemment. Peu importe que les uns et les autres pratiquent telle ou telle mode de création (vidéastes ou peintres, photographes ou adeptes de l’installation) : ces distinctions n’intéressent que les fanatiques de la typologie et les nostalgiques du « beau métier ». Peu importe qu’ils s’entendent entre eux ou non : le temps des mouvements et manifestes est révolu.

Ce qui compte – ceci vaudrait bien au-delà des arts dits « plastiques » pour ceux que l’on dit « vivants », comme si les premiers ne l’étaient pas –, ce sont les enjeux intellectuels, politiques et intimes. C’est le courage d’aller au terme de ses idées et de ses désirs, sans chercher à plaire. C’est la volonté de rendre plus clair le présent en l’inscrivant dans des formes étranges et irréfutables. Nommer, c’est prendre le risque de céder à son tour à la manie des listes. Mais ne pas en donner serait incompréhensible. En voici donc quelques-uns : Sophie Ristelhueber, Gloria Friedmann, Clarisse Hahn, Valérie Jouve, Iris Levasseur, Myriam Mihindou, Zineb Sedira, Jean-Michel Alberola, Kader Attia, François Boisrond, Pascal Convert, Marc Desgrandchamps, Pierre Huyghe, Bertrand Lavier, Jean-Michel Othoniel, Yan Pei-Ming, Stéphane Pencréac’h, Mathieu Pernot, Djamel Tatah, Pascale Marthine Tayou, Barthélémy Toguo. C’est grâce à elles et eux que cela vaut la peine d’accompagner la création artistique sur le territoire français – et ailleurs, évidemment – aujourd’hui.

Né en 1959, Philippe Dagen est professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est également critique d’art pour le journal Le Monde depuis 1985. Son dernier ouvrage, Artistes et Ateliers, a paru en 2016 chez Gallimard. Il est le commissaire de l’exposition « Holder, Monet, Munch. Peindre l’impossible » actuellement présentée, après le Musée Marmottan-Monet en 2016, à la Fondation Gianadda jusqu’au 11 juin 2017.  

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : 1997 : L’apparition d’artistes dans « la haine de l’art »

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