Le pari hasardeux d’une Villa Médicis en Seine-Saint-Denis

lejournaldesarts.fr

Le 20 octobre 2011 - 1013 mots

MONTFERMEIL [20.10.11] - La Tour Utrillo, en plein cœur des cités les plus dures de Seine-Saint-Denis, aura-t-elle bientôt un air de cousinage avec la fastueuse Villa Médicis romaine ? Ce projet de résidence d'artistes, qui s'inscrit dans le cadre du Grand Paris, apparaît comme un pari fou. S’il est sur le point de se concrétiser par la volonté de deux élus, de bords politiques différents, relayée par celle du ministre de la Culture, son succès auprès des artistes et son impact sur les populations locales est loin d’être garanti.

L’histoire débute en 2008, quand les deux élus de Montfermeil et Clichy-sous-Bois souhaitent redorer l’image de leurs communes, meurtries par les émeutes urbaines de 2005. Et cela, par la Culture. Pour Claude Dilan, ex-maire de Clichy et sénateur PS fraîchement élu, « le fait culturel est une façon d’organiser le vivre ensemble. La signature de ces quartiers, de ces territoires enclavés, doit passer par la Culture ».

L’idée d’une nouvelle Villa Médicis, germe alors dans la tête du journaliste Jérôme Bouvier, lequel avait déjà organisé la manifestation « Clichy Sans Clichés » : douze photographes de renommée internationale s'étaient immergés pendant trois mois parmi la population de Clichy-sous-Bois et cela avait donné lieu à une exposition sur place ainsi qu'à l’Hôtel de ville de Paris à l'automne 2006. Cette fois, le challenge artistique se veut plus ambitieux encore. Pour ne pas dire à peine crédible, étant donné la désolation de ces quartiers et la paupérisation de ces communes. Sa chance, c’est que 2007 est aussi l'année durant laquelle le gouvernement annonce son chantier du Grand Paris. L’architecte Yves Lion, qui participe à la consultation sur le Grand Paris les deux années suivantes, se penche sur ce projet, et le propose au ministre de la Culture. Frédéric Mitterrand, emballé, s’empare du dossier dès 2009.

La « Tour noire »
La Tour Utrillo est un bâtiment de 13 étages, construit à la fin des années 1960, début des années 1970. Destinée à accueillir des bureaux, la tour, située dans un territoire peu attractif et enclavée par le manque de transports en commun, est finalement abandonnée, car boudée par les entreprises. Les habitants l’appellent la « Tour noire » car lorsqu’en soirée la ville s’éclaire, la tour, elle, demeure plongée dans le noir. Bernard Tapie, ministre de la Ville en 1992, tente, en vain, de la réhabiliter. La tour est ainsi restée désaffectée pendant plus de vingt ans. Vouée à la démolition en janvier 2011, elle y échappe après l’annonce de son rachat par l’Etat, et pourrait enfin connaître une seconde vie.

La Villa Médicis de Rome et le bâtiment de Montfermeil n’ont pas grand chose en commun. La première, construite en 1803 en plein cœur de Rome au milieu d’un magnifique jardin héberge depuis l'origine l’Académie de France à Rome. Elle a été dirigée par Frédéric Mitterrand de 2008 jusqu’à sa nomination au ministère de la Culture. Le second, une tour sans identité architecturale particulière, matérialise l’échec des politiques sociales.

Les artistes viendront-ils ?
Les artistes s'approprieront-ils ce bâtiment où les entreprises ont refusé de s'installer? Certes ce projet pour le moins utopique est devenu un chantier emblématique du Grand Paris. Le renouvellement urbain est déjà en cours à Clichy et Montfermeil. Les deux municipalités souhaitaient en effet un réaménagement commun de leurs territoires, pour une redynamisation ambitieuse et complémentaire de leurs quartiers. Cette réhabilitation urbaine bénéficiera d’une future station de métro de la Grande Boucle de Paris, qui devrait s’arrêter au pied de la future Villa Médicis. De quoi amorcer aussi du même coup une opération de valorisation immobilière. Un équipement culturel attire généralement une population plus aisée, contribuant à faire monter les prix, comme cela a été le cas à Pantin autour du Centre national de la danse. Mais pour Claude Dilain, cela n’a jamais été l’objectif principal. Le projet est davantage « une opération de requalification et principalement de changement d’image. L’idée est de réaménager un territoire sinistré et de le doter d’un équipement exceptionnel à l’image du musée Guggenheim, qui a contribué à revitaliser le tissu urbain et a conféré un nouvel élan à Bilbao, ou des rénovations menées par Martine Aubry à Lille grâce à son titre de Capitale européenne de la Culture en 2004 ».

Villa Médicis ou centre socio-culturel ?
Peut-on néanmoins comparer le projet de reconversion d'une tour à l'allure peu engageante avec la Villa Médicis ? Plutôt que de parler de Villa Médicis, ne devrait-on pas parler plutôt d’un projet socio-culturel s’inspirant des ateliers d’artistes du 104 ou de l’expérience de musée temporaire menée par l’artiste Thomas Hirschhorn à Aubervilliers il y a quelques années ? Pour Claude Dilain, « la comparaison n’est pas pertinente car ces quartiers de Montfermeil et de Clichy sont emblématiques. L’idée est donc de développer un "contre-symbole", alors que la tour symbolise aujourd'hui la disqualification du quartier ». Et ce sera justement à ces futurs artistes en résidence d’incarner ce « contre-symbole ». L’ex-maire de Clichy réfute l’idée d'artistes vus comme des animateurs sociaux. « Mais il y a tout de même la volonté que ces artistes participent à la vie du quartier, et que la population puisse accéder à une plus grande richesse culturelle » confesse-t-il.

Cette Villa Médicis bis compte s'appuyer sur la revitalisation culturelle déjà entamée par les élus locaux. Claude Dilain envisage un espace dédié au cinéma avec l’accueil de scénaristes et réalisateurs. Autre piste: proposer ce que la Villa Médicis ne peut offrir. « La tour Utrillo, à la différence de sa consœur de Rome, permet l’installation d’œuvres contemporaines d'envergure, une spécificité sur laquelle il est nécessaire de miser » observe Claude Dilain.

Les prochaines étapes
La direction artistique de cette Villa Médicis bis va se préciser dans les mois à venir. Deux étapes importantes s’annoncent. D’une part, le rachat de la tour à l’actuel propriétaire, l’AFTRP (l’Agence foncière et technique de la région parisienne, établissement public d’aménagement urbain et opérateur foncier), dont le contrat s’est terminé en janvier 2011. D’autre part, la mise en place d’une association de préfiguration, qui réunira les élus locaux, l’Etat et un panel d’experts. Ce sera à eux de finaliser le projet, afin d’en faire une « locomotive » réelle au-delà de l’effet d’annonce.

Légende photo

La tour Utrillo à Montfermeil qui accueillera une Villa Médicis - © Photo Cécilia Delporte - 2011

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