Politique

Zahi Hawass, le pharaon de l’égyptologie

Par LeJournaldesArts.fr · lejournaldesarts.fr

Le 14 mai 2009 - 1812 mots

PARIS [14.05.09] - Depuis son arrivée en 2002 à la tête du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, le très controversé Zahi Hawass ne cesse de faire la une des médias. Intriguée par ce nouveau pharaon, notre rédaction s’est intéressée à son parcours.

Zahi Hawass
Zahi Hawass
© D.R.

À première vue, Zahi Hawass pourrait passer, avec son chapeau digne d’Indiana Jones, pour la caricature d’un archéologue aventurier sorti d’un film de série B. Passionné, il définit l’archéologie comme l’amour de sa vie. Exubérant, il se plaît à présenter ses recherches sous un jour dramatique. Communicant, il se met en scène pour ses « fans » sur son site personnel, sur twitter, sur facebook ou sur myspace. Voilà un archéologue qui ne correspond guère à l’image traditionnelle du scientifique. À tel point que sa crédibilité pourrait en être affectée.

Et pourtant, Time Magazine l’a introduit en 2006 dans sa liste des 100 personnes les plus influentes au monde. Surnommé « The Man » par le magazine américain, Zahi Hawass jouit en effet d’une influence qui dépasse de loin les frontières égyptiennes. L’égyptologie contemporaine dépend en grande partie de lui puisqu’il détient la clé de tous les sites historiques en Égypte. Mais il n’ouvre pas si facilement les portes …

Une politique de fouilles en Égypte

À la différence de ses prédécesseurs, Hawass a en effet mis en place une politique très stricte de fouilles, surtout pour les étrangers. Il voudrait que dorénavant, l’histoire de l’Égypte antique soit racontée par des Égyptiens et non par des Français, des Anglais ou des Allemands. Et il est prêt à tout pour atteindre ce but.

Il a ainsi commencé par muscler son administration, forte de plus de 30 000 personnes, et rationaliser ses structures. En 2003, lors de sa première année au poste de secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, toute nouvelle mission archéologique étrangère en Haute-Égypte a été interdite jusqu’en 2013 afin de préserver cette région – et bien sûr, de favoriser les archéologues égyptiens, ce qui lui a valu d’être taxé par certains de nationaliste.

Il a également renvoyé chez eux 14 expéditions et a depuis refusé l’accès à des centaines d’autres. Sans surprise, Hawass ne fait pas l’unanimité dans le milieu de l’archéologie. Mais rares sont ceux qui osent l’affronter.

C’est le cas pourtant de Jean-Yves Verd'hurt et Gilles Dormion, deux égyptologues amateurs français dont Zahi Hawass a bloqué les recherches. Ils ont ainsi déclaré en 2004 que ce dernier faisait de l’Égypte son « terrain de chasse privé » au détriment d’une science qui s’est développée surtout hors d’Égypte. Quant à Hawass, il les a tout simplement définis comme étant des « amateurs », une expression souvent employée quand quelqu’un n’est pas d’accord avec lui ou ne respecte pas ses règles.

Une fois acceptées, les missions archéologiques doivent publier des rapports finaux sur les excavations dans les cinq années qui suivent la fin des fouilles et doivent toujours produire des registres photographiques et cartographiques. « (…) La plupart des étrangers travaillant en Égypte se concentrent sur les découvertes – et on les aide, mais on leur dit également : si vous découvrez quelque chose, vous devez publier les résultats de votre recherche. Selon les nouvelles règles, vous devez publier dans votre langue et en arabe parce que cela peut aider les Égyptiens. De plus, vous ne pouvez pas annoncer les découvertes dans votre pays sans nous en informer. Toute découverte doit être évaluée et annoncée par nous », expliquait Hawass au Guardian en 2003.

Un parfait showman

« Par nous » signifie en fait par lui-même, ce que lui reprochent de nombreux archéologues, exaspérés d’être discrédités et de se voir voler la vedette. Car Hawass est bien devenu une vedette depuis plusieurs années. Aux États-Unis et en Égypte il est considéré comme une vraie célébrité au point d’être arrêté dans les rues. Il s’est surtout fait connaître grâce à des émissions et des documentaires diffusés notamment par la National Geographic, The History Channel ou encore Discovery Channel.

Il s’y révèle un excellent communicant, capable d’intéresser les téléspectateurs même quand il y a peu d’intérêt scientifique et d’élargir au grand public le cercle des amateurs d’archéologie égyptienne, ce que l’académie des Emmy Awards, l’Oscar de la télévision américaine, a salué en lui attribuant une récompense en 2006 pour une émission diffusée sur la chaîne PBS. La théâtralité de Hawass a même attiré l’attention d’Omar Sharif qui a déclaré qu'il était un « meilleur acteur » que lui.

« Je suis devenu une star – plus qu’une star de cinéma en Égypte »,  a affirmé Hawass au New York Times. Se comporterait-il pourtant comme une star ? Le Sunday Times affirme que ce serait le motif pour lequel il aurait mené une campagne de diffamation contre Joann Fletcher, une archéologue anglaise qui pensait avoir découvert la momie de la reine Néfertiti et l’avait annoncé dans un documentaire du Discovery Channel sans suivre les règles de Hawass. Selon l’article de Richard Girling, l’ensemble des preuves rassemblées par Fletcher était cohérent avec sa théorie, même si individuellement aucune ne la prouvait avec certitude. De toute façon, l’analyse de l’ADN des momies de plus de 3 000 étant peu fiable, il n’existe pas de preuve absolue pour identifier cette momie. « ‘Cas non avéré’ serait le pire adjectif pour désigner cette théorie. [...] Toutefois Hawass était fou furieux. La théorie de Fletcher était un ‘tissu de mensonges’, a-t-il dit. Elle aurait ‘trompé le monde’. Elle a en fait offensé son protocole. », a conclu Girling.

Fletcher a ainsi dû payer pour son « péché » : elle et son équipe ont été interdites de travailler en Égypte. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Hawass a continué à faire des déclarations mettant en question les capacités intellectuelles de Fletcher, qualifiée par lui de « folle » et de « mauvaise archéologue », et a commencé à argumenter contre sa théorie selon laquelle il s’agirait du corps de Néfertiti. Mais à chaque interview, il se contredisait : il a identifié la momie à la fois comme étant d’une fille de 16 ans, un garçon d’entre 15 et 20, un homme...

L’avocat de son pays

Mis à part ces apparitions à la télévision et les annonces très médiatisées de nouvelles découvertes, Hawass a aussi fait parler de lui en menant une campagne active contre les grands musées américains et européens dans le but d’obtenir la restitution d’objets volés à l’Égypte. Plus de 4 000 pièces ont ainsi déjà été récupérées et deux réseaux de contrebande ont été démantelés avec son aide. Mais Hawass persiste, exigeant le retour de certaines des œuvres phares des collections occidentales, surtout celles sorties illégalement du pays après 1972, l’année où par convention internationale tout objet volé doit être restitué.

S’il ne tarit pas d’éloges envers les institutions collaboratrices, comme le Metropolitan Museum, il n’hésite pas non plus à utiliser une approche plus agressive contre ceux qui ne coopèrent pas. Hawass a été catégorique dans un entretien : « Nous avons un pouvoir très important : la recherche scientifique. Tous les musées fouillent et travaillent en Égypte. Si certaines des institutions ne veulent pas coopérer, si elles ne sont pas justes avec nous, j’arrêterai toute opération scientifique entre l’Égypte et ces musées ».

Dans sa tentative de mettre la main sur le masque doré de Ka Nefer Nefer, conservé actuellement au Saint Louis Museum, Hawass a non seulement écrit au musée plusieurs fois en présentant des preuves, mais il a aussi contacté des autorités gouvernementales et... des écoles primaires pour que « les enfants ne visitent pas ce musée où un objet volé est exposé ».

Hawass garde également un oeil sur cinq « pièces uniques » appartenant à l’héritage culturel égyptien : la pierre de Rosette (British Museum), le buste de Néfertiti (Neues Museum), le zodiaque du temple de Dendérah (musée du Louvre), la statue de Hémiounou (Roemer und Pelizaeus Museum) et le buste de Ânkhâf (Museum of Fine Arts of Boston). « 95% des égyptiens n’ont jamais vu [ces objets]. J’ai besoin qu’ils soient exposés en Égypte pour une courte période, même s’ils sont sortis légalement dans le passé, excepté pour le buste de Néfertiti », a-t-il raconté au Guardian.

Un redoutable homme d’affaires

Aux facettes de showman et d’avocat de la cause égyptienne s’ajoutent d’indéniables talents d’homme d’affaires. Alors que dans les années 1970 une exposition itinérante sur le trésor de Toutankhamon n’avait presque pas rapporté d’argent à l’Égypte, celle récemment organisée par Zahi Hawass aux États-Unis et en Europe sur le même thème a généré des bénéfices de 140 millions de dollars qui ont été employés dans la conservation des monuments, l’une des priorités de Hawass.

Depuis 2007, Hawass essaye aussi d’obtenir pour l’Égypte les copyright pour toutes les reproductions des pyramides. Autre exemple de ses capacités de businessman : le très médiatisé scan de la momie de Toutankhamon en 2005 a été confié au National Geographic qui a reçu l’exclusivité de l’événement en échange de la prise en charge des coûts très élevés – un million de dollars – de l’opération.

Des méthodes peu orthodoxes ?

Malgré sa longue et prestigieuse carrière académique (voir encadré), cet événement ainsi que d’autres projets de Zahi Hawass ont pu être considérés par de nombreux égyptologues comme des coups médiatiques et non comme de réelles démarches scientifiques. « C’est risible (...) Sûrement de l’autopromotion », avait alors estimé l’ancien directeur du Metropolitan Museum Thomas Hoving dans les colonnes du New York Times au sujet du scan qui aurait révélé le visage de Toutankhamon.

Le docteur Saleh Badeir, ancien chef de l’équipe scientifique en charge du programme de déchiffrement (CT scanning) des momies avec lequel Hawass est lié, semble être d’accord. Il s’est retiré en 2004 du projet et a raconté au journal al-Ahram « qu’au lieu d’être un important événement scientifique, ça ne fera qu’alimenter les accros aux médias ». Selon Abdel-Halim Nuredin, doyen de la faculté d’archéologie de l’Université du Caire, les mesures de sécurité dans la manipulation des momies ne sont souvent pas respectées.

Dans une de ses émissions diffusée en décembre 2002, Hawass se serait même introduit dans une tombe qui venait d’être découverte, ce qui a choqué Ahmed Saleh, directeur du Conseil suprême des antiquités égyptiennes d’Abu Simbel. « C’était une blague. Comment un scientifique peut tenir une hache et s’introduire dans une tombe à la télé ? Tous les scientifiques savent que beaucoup d’étapes doivent précéder l’ouverture d’une tombe. Si vous vous introduisez comme ça, vous risquez de perdre des preuves historiques importantes. Je suis triste que l’égyptologie en soit arrivée à ce point », a-t-il déclaré.


Que répond Hawass à toutes ces accusations de nationaliste, de tyran et de privilégier la communication à la science ? « Tout ça est de la jalousie des suiveurs de Seth. Je suis incroyablement compétent. Je fais tout pour l’Egypte et pour rien d’autre ». Tout est dit.

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