Justice

Patrimoine : bataille judiciaire sur la propriété d'une statuette médiévale

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 28 décembre 2017 - 669 mots

PARIS [28.12.17] - Elle décorait l'un des plus beaux monuments funéraires du Moyen Âge : une statuette représentant un "pleurant", estimée à plus de 2 millions d'euros, fait l'objet d'un bras de fer entre le ministère de la Culture et une famille, chacun revendiquant sa propriété.

Les "pleurants" du tombeau de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, lors de « LARMES D'ALBÂTRE », une exposition au Musée national du Moyen Âge, Cluny
Les "pleurants" du tombeau de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, lors de « LARMES D'ALBÂTRE », une exposition au Musée national du Moyen Âge, Cluny

Ce conflit pose la question de la propriété des oeuvres disparues d'églises ou de châteaux sous la Révolution française et qui se retrouvent aujourd'hui entre les mains de particuliers qui en ont hérité ou les ont acquises. Ce litige sera examiné en janvier au Conseil d'État après deux décisions de justice favorables au ministère de la Culture. Pour Basile Ader, avocat des trois soeurs qui ont hérité du "pleurant", la statuette en albâtre est sortie du domaine public pour devenir un bien négociable sous la Révolution et n'appartient donc pas à l'État. Le ministère de la Culture affirme, lui, avoir les documents prouvant la volonté du pouvoir révolutionnaire de préserver cette oeuvre dans le cadre national, y compris lorsque la Convention a ordonné en 1793 la destruction des effigies royales et que le conseil général de Dijon a ordonné celle des tombeaux des ducs de Bourgogne, dont 82 pleurants ornaient les socles.

Ces statuettes représentant des moines en pleurs sont considérées comme des chefs-d'oeuvre du Moyen Âge. La quarantaine de statuettes qui paraient le tombeau de Jean sans Peur ont été présentées en 2010 aux États-Unis, puis à Bruges (Belgique) et Berlin, avant de revenir au musée des beaux-arts de Dijon où elles sont exposées. L'auteur de la saga Game of Thrones, George R. R. Martin, s'était rendu en 2014 à Dijon, où il s'est dit émerveillé par ces pièces.

Le pleurant objet du litige provient du tombeau de Philippe le Hardi, autre duc de Bourgogne, vandalisé durant la Révolution. "Le gisant a disparu mais le socle et l'ensemble du tombeau sont au musée de Dijon. (...) Douze des 41 statues avaient disparu en 1794 mais une partie a été retrouvée et quatre sont au musée de Cleveland (États-Unis)", a précisé à l'AFP Jean-Michel Loyer-Hascoët, chef du service patrimoine au ministère de la Culture.

"Personne ne voulait l'acheter"
Mais pour Marie-Claude Le Floc'h, dont la famille détient la précieuse pièce depuis 1813, l'histoire est bien différente. "Je l'ai toujours vu en Bourgogne chez mon grand-père, puis chez ma mère à Neuilly-sur-Seine", raconte à l'AFP celle qui est aussi adjointe à la culture et au patrimoine de la mairie de Neuilly (Hauts-de-Seine). "On l'a prêté plusieurs fois, notamment au musée de Dijon. Il a toujours été répertorié".

"Au décès de ma mère, nous avons envisagé une dation (donation pour payer les droits de succession)", a rapporté l'élue, qui dit avoir découvert à cette occasion que deux pleurants du tombeau du duc de Berry avaient été adjugés chez Christie's pour 4,2 millions d'euros, le leur étant alors expertisé à 3 millions d'euros, "une somme supérieure aux droits de succession". "Nous avons alors envisagé de le céder à un musée mais personne ne voulait l'acheter, ni le Louvre ni l'État. On a finalement décidé de le mettre en vente fin 2014 en demandant une autorisation de sortie du territoire" pour cette oeuvre, dit-elle.

Mais la direction du patrimoine lui répond que la sculpture ne lui appartient pas, interdit sa vente et réclame sa restitution. L'élue souligne cependant que le fisc a "encaissé 839 000 euros de droits de succession". "Il est clair que l'État cherche à obtenir une jurisprudence pour récupérer gratuitement des oeuvres en possession de particuliers" mais qu'il considère relever du domaine public, "ce qui peut concerner beaucoup de collectionneurs et contrarier les perspectives des antiquaires et maisons de ventes", fait-elle valoir.
"Si Mme Le Floc'h n'avait pas décidé de mettre en vente la statuette, l'État ne l'aurait pas réclamée", affirme Jean-Michel Loyer-Hascoët, qui dit avoir agi pour empêcher l'objet de partir à l'étranger. Quant à récupérer l'ensemble des oeuvres disparues sous la Révolution, "on n'a pas à chaque fois la preuve qu'elles sont restées dans le domaine public", dit-il.
 

Pierre Rochiccioli

 

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