Restitutions

La justice restitue un Pissarro à une famille spoliée sous l'Occupation

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 8 novembre 2017 - 608 mots

PARIS

PARIS [07.11.17] - Soixante-quatorze ans après avoir été confisqué sous Vichy, le tableau "La Cueillette" de Pissarro, acheté légalement par des Américains en 1995, devra être restitué aux descendants d'un collectionneur juif spolié, selon un jugement rendu mardi.

Camille Pissarro, La cueillette des pois, 1887, provenant de la collection Simon Bauer spoliée durant la Seconde Guerre mondiale.
Camille Pissarro, La cueillette des pois, 1887, provenant de la collection Simon Bauer spoliée durant la Seconde Guerre mondiale.

L'avocat du couple américain, Ron Soffer, a annoncé à l'AFP que ses clients feraient appel. Le tableau devrait donc rester sous séquestre en attendant la conclusion du deuxième procès. La décision a en revanche été saluée par les héritiers du collectionneur spolié : "Jean-Jacques Bauer est heureux. C'est l'une des plus belles toiles de la collection de son grand-père", s'est félicité Me Cédric Fischer, contacté par l'AFP.

Le jugement "ordonne" à l'Etablissement public des Musées et de l'Orangerie de remettre l'oeuvre "La Cueillette" aux descendants du collectionneur Simon Bauer, dont les tableaux avaient été confisqués en 1943. Les époux Toll, qui avaient acheté le tableau 800.000 dollars chez Christie's à New York en 1995, sont aussi condamnés à payer 8.000 euros à la famille Bauer pour les frais de justice.

La gouache a été peinte en 1887 par l'impressionniste Camille Pissarro. C'était l'un des 93 tableaux de maître de la collection de Simon Bauer, un grand amateur d'art français né en 1862, qui avait fait fortune dans la chaussure. Cette collection lui avait été confisquée en 1943 et avait été vendue par un marchand de tableaux désigné par le Commissariat aux questions juives du régime collaborationniste de Vichy. Interné en juillet 1944 à Drancy, le collectionneur avait réussi à échapper à la déportation. À sa mort, en 1947, il n'était parvenu à récupérer qu'une petite partie de ses oeuvres. Ses descendants ont poursuivi son action pour reprendre possession de la collection. Une vingtaine de tableaux n'ont toujours pas été récupérés, selon Me Fischer.

Ordonnance de 1945
"La Cueillette" avait refait surface brièvement en 1965 lors d'une vente, avant de disparaître à nouveau en quittant le territoire français. La famille Bauer a perdu sa trace pendant plus d'un demi-siècle. Jusqu'à ce qu'en début d'année, les Bauer apprennent que "La Cueillette" était exposée au musée Marmottan, à Paris, prêtée par un couple de collectionneurs américains, les époux Toll, dans le cadre d'une rétrospective consacrée à Pissarro. Les descendants ont alors obtenu le placement sous séquestre du tableau, le temps d'assigner les époux Toll, pour le récupérer.

Le jugement rendu mardi s'appuie sur une ordonnance d'avril 1945 sur la nullité des actes de spoliation. "Mes clients seront très déçus de ne pas pouvoir récupérer ce tableau auquel ils sont très attachés", a réagi devant la presse l'avocat des époux Toll. "Ils considèrent que ce n'est pas à eux de payer pour les crimes de Vichy", a poursuivi l'avocat, après avoir pris acte de la décision. Le tribunal a en revanche reconnu la bonne foi des époux Toll. Me Soffer assure que ses clients ne connaissaient pas l'histoire du tableau quand ils l'ont acheté. "Ce ne sont pas des experts, des historiens de l'art. Dans le catalogue de la vente, il était écrit nulle part que le tableau avait été confisqué". Lors de l'audience emplie d'émotion, en octobre, devant les juges civils du tribunal de grande instance de Paris, ils avaient confié être eux-mêmes juifs et "très sensibles" à la mémoire de la Shoah.

Les descendants de Simon Bauer estimaient que les époux Toll, grands collectionneurs, "savaient" que le tableau était issu d'une spoliation. Jean-Jacques Bauer, 87 ans, avait invoqué la "mémoire" de son grand-père et celle de son père, arrêté par la Gestapo en 1941 et déporté, "spoliés moralement, physiquement, matériellement". Le droit à la restitution est "imprescriptible", avait plaidé son avocat, jugeant qu'il découlait "d'un crime contre l'Humanité".
 

Caroline TAIX

 

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