Les manuscrits d’Henry de Monfreid, une histoire tumultueuse

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 11 juillet 2017 - 779 mots

PARIS [11.07.17] - La vente en demi-teinte des manuscrits de l’écrivain-aventurier par Artcurial en juin dernier recèle une histoire d’héritage. Cachés du monde pendant quarante ans, une précédente vente aux enchères publiques les a révélés aux héritiers réservataires, dont le droit de propriété a été judiciairement reconnu.

Le catalogue de la maison de ventes située au rond-point des Champs Élysées proposait nombre de manuscrits de « ce Français qui voulut et osa vivre une vie de hardiesse, de solitude et de liberté », selon les mots de Joseph Kessel. À chaque lot était attaché un pedigree dont l’énoncé même rendait la provenance incontestable et précieuse : « Archives Henry de Monfreid ». Du maître aux adjudicataires, la transmission semble intacte. Pieusement conservées depuis son décès en 1974, ces archives connaîtraient alors une nouvelle vie, dans l’intimité de leurs nouveaux propriétaires. Mais ce parfait pedigree affiché ne saurait effacer l’aventure que ces archives ont connue, empruntant pour certaines le chemin d’une précédente maison de ventes parisienne et pour toutes celui de la justice.

Deux ans après le décès de l’aventurier-écrivain, un partage amiable de ses biens et de ceux de sa veuve a été réalisé, sans que les 39 manuscrits écrits par ses soins, ainsi que leur version dactylographiée, constituant soit des œuvres publiées soit des inédits, ne soient concernés. Depuis lors, ils somnolaient dans un placard d’une soupente d’une bâtisse de la petite commune d’Ingrandes, dernier lieu de résidence d’Henry de Monfreid.

Les manuscrits furent néanmoins extirpés de leur paisible quiétude lorsque leur détenteur décida de se séparer de six d’entre eux en les proposant au feu des enchères à l’Hôtel Drouot en 2011. Parmi ces documents autographes, « La croisière du hachich » et « La poursuite du Kaïpan ». Fils de la veuve de l’auteur, auquel il n’était attaché par aucun lien de parenté, le détenteur des précieux manuscrits ne parvint qu’à faire vendre deux lots, « Les secrets de la Mer Rouge » au bénéfice de la Bibliothèque Nationale de France et « L’Homme aux yeux de verre » à celui d’une célèbre librairie parisienne.

Il réussit surtout à attirer l’attention des héritiers réservataires de Monfreid qui, alertés par la vacation, l’assignèrent, ainsi que les deux adjudicataires afin de revendiquer la totalité des manuscrits, dont ceux qui n’auraient pas été proposés à la vente. Convaincus jusqu’alors que les biens inventoriés en 1974 avaient été perdus ou détruits, les héritiers portèrent ainsi leurs demandes devant la justice dans l’espoir de se voir reconnaître une propriété sur l’ensemble. Obligés d’assigner préalablement en référé la maison de ventes pour obtenir le nom du vendeur, les héritiers découvrirent l’identité du détenteur avec lequel les liens s’étaient fortement distendus durant toutes ces années.

Face à leurs réclamations, ce dernier soutenait notamment devant le tribunal de grande instance de Paris qu’au regard de sa possession paisible, non-équivoque et publique pendant quarante ans, la propriété des manuscrits lui était acquise. Mais dès lors que l’acte de partage de 1976 faisait référence à l’inventaire dressé deux années auparavant, cet argument ne pouvait pas prospérer, ni même être étudié. En effet, l’inventaire avait précisément répertorié l’ensemble des documents autographes et indiqué que ceux-ci appartenaient aux seuls héritiers d’Henry de Monfreid. Le bénéfice de la prescription acquisitive ne pouvait donc jouer au profit du détenteur, celui-ci étant dans l’obligation de respecter les dispositions du partage et ainsi de restituer à leurs propriétaires les manuscrits.

Les héritiers avaient également tenté de faire valoir qu’ils avaient été privés de la possibilité de publier trois œuvres inédites de leur ascendant depuis 1976 et qu’ils subissaient un préjudice financier particulièrement important. Faute de preuve de la réalité du préjudice, le tribunal ne leur accorda qu’une indemnité de 5 000 euros aux termes de sa décision du 12 septembre 2013.

De même, les héritiers avaient tenté d’obtenir, sans succès, une publication judiciaire du jugement afin de réparer l’atteinte faite « à leur réputation en ce que la vente de certains [des] manuscrits pourraient laisser croire à tort qu’ils sont animés par un esprit de lucre ». Quant aux deux lots adjugés, le tribunal prononça la nullité de leur vente, condamnant l’ancien détenteur à rembourser les malheureux adjudicataires.

Entre la vacation du 14 juin chez Artcurial, proposant l’ensemble des archives retrouvées, et celle du 8 mars dernier chez Beaussant-Lefevre des œuvres et souvenirs de l’écrivain, l’héritage d’Henry de Monfreid a récemment connu une nouvelle vie. Celle-ci ne saurait cependant masquer la désaffection du marché pour les écrits de cet aventurier ayant marqué son siècle littéraire. « La Poursuite du Kaïpan » était mise à prix à 15 000 euros en 2011, estimée entre 4 et 6 000 euros en 2017 et finalement ravalée.

Légende photo

Photographie d'Henry de Monfreid à son domicile parisien publiée dans le New York Times dans les années 1930. Source Wikipedia.

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