La villa mauresque de Pessac bientôt démolie malgré l’opposition des riverains

Par Margot Boutges · lejournaldesarts.fr

Le 28 juin 2017 - 1042 mots

PESSAC (NOUVELLE-AQUITAINE) [28.06.17] - La villa mauresque, considérée comme la seule belle maison ancienne de cette cité très bétonnée de Pessac, doit être démolie prochainement, au grand dam d'un collectif de défense.

En 1911, une carte postale aujourd’hui numérisée par les archives de la commune de Pessac (ville moyenne de l'aire urbaine de Bordeaux) immortalisait la « Villa mauresque ». Celle-ci doit être bientôt démolie. Ce n’est ni un château, ni un manoir mais une charmante maison bourgeoise bâtie en 1854 (selon le Plan local d’urbanisme) qui tire son surnom de sa loggia aux arcs orientalistes.

Elle a été récemment vendue par sa propriétaire au promoteur immobilier Nexity qui prévoit de raser l'édifice pour construire un immeuble de 58 logements collectifs avec parking. Un permis de démolir a été délivré par le maire de Pessac le 27 décembre 2017. Une décision qui n'a pas été du goût de certains riverains qui se sont rassemblés en collectif quelques mois plus tard pour s'opposer à la démolition de cette bâtisse. Il faut dire que cette villa, dont le parc arboré est bordé par le tramway, est la seule belle maison ancienne du quartier de Saige-Formanoir, un quartier réputé difficile qui fait plutôt la part belle aux tours et aux barres d'immeubles sorties de terre depuis les années 1960. « Avec les arbres qui entourent le jardin, on ne la voit pas toujours très bien depuis la rue mais les gens la connaissent et y sont attachés », explique Albert Montané, médecin généraliste qui exerce dans le quartier et membre du collectif.

Zineb Yahiaoui, qui a grandi à Saige-Formanoir, a été la première à se mobiliser contre la démolition : « J'ai remarqué en février le permis de démolir affiché sur la maison », explique-t-elle, précisant que ce dernier était « loin d'être mis en évidence ». Le 23 avril, elle a adressé au nom de L'amicale des locataires de Formanoir un recours gracieux à l'encontre du permis au maire de Pessac. Ce à quoi le délégué à l'urbanisme lui a répondu que le délai pour exercer un recours (deux mois à compter du premier jour d'affichage) était terminé et qu'il considérait ne pas « avoir commis d'erreur d'appréciation en autorisant la démolition », l'édifice n'étant pas protégé au titre des Monuments Historiques et ne faisant pas partie de la liste des immeubles repérés sur le PLU de la Ville pour leur intérêt patrimonial.

La municipalité avait pourtant intégré en 2016 la villa à la liste des immeubles à protéger dans le cadre de la révision du PLU mais l'a retirée quelques jours avant la signature du permis de démolir. « Nous avions à l'origine l'idée de faire de cette villa une maison de quartier ou un équipement municipal pour que l'immeuble de Nexity puisse s'implanter ailleurs dans le parc arboré », explique Marc Muret, directeur de cabinet du maire de Pessac, ajoutant « qu'après avoir visité la maison, le maire avait changé d'avis et préféré autoriser que la maison soit rasée ce qui permet d'ailleurs d'épargner quelques arbres. » Comme raison invoquée à ce revirement : « Les matériaux ne sont pas très nobles, et nous pensions que la loggia mauresque est un rajout postérieur à la construction de la villa », précise-t-il, reconnaissant cependant qu'aucun architecte ou historien de l'architecture n'avait participé à la visite et qu'il s'agit d'une « appréciation assez subjective » de l'équipe municipale.

La DRAC, sollicitée par le collectif pour faire protéger la villa, ne s’oppose pas à cette décision. Aurélie Fournier-Merle, chargée d'études à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de la Nouvelle-Aquitaine a ainsi expliqué au Journal des Arts que : « Le permis de démolir a déjà été délivré, dès lors l'instruction d'une demande de protection ne peut pas annuler le permis à moins qu'on utilise en urgence une procédure d'instance de classement qui n'est utilisée que quand la valeur patrimoniale de l'immeuble est très importante. Ici nous ne sommes pas dans ce cas car cette villa n'a que quelques éléments néo-mauresques et est plutôt d'un style éclectique. Elle n'est pas unique : plus loin dans Pessac, dans la rue Goya, il y a d'autres villas avec des caractéristiques de l'architecture néo-mauresque qui ne sont pas menacées [des caractéristiques néo-mauresques qui sont loin de sauter aux yeux lorsque l’on se promène dans la rue Goya n.d.l.r.]. »

Le collectif ne l'entend pas de cette oreille et a sollicité l'avis – sur photos - de spécialistes de l'histoire de l'architecture, qui ont exprimé leur intérêt pour l'édifice. Nabila Oulebsir, maitre de conférences en histoire de l'architecture et du patrimoine, explique : « Je constate que l'édifice présente surtout des caractéristiques de la tradition régionale du Sud-Ouest (appareillage des matériaux en façade, toiture en pente, pavillon à l'arrière de la demeure, cheminées, arc brisé rappelant l'ogive de l'architecture médiévale...). L'architecture mauresque, méditerranéenne ou indienne, ne sont ici que des brèves citations, signalées probablement comme référence aux voyages réalisés par son commanditaire (ou par l'architecte ?) : bichromie des colonnes de la loggia, persiennes. L'appareillage des colonnes de la loggia est exceptionnel et rare, en même temps classique et régional, entre Orient et Occident. L'édifice témoigne d'une conception architecturale locale mise en interaction avec d'autres traditions et montre l'inscription de Pessac dans un monde déjà globalisé au XIXe siècle. Il serait dommageable pour Pessac et ses habitants de perdre un tel édifice qui présente un grand potentiel patrimonial. »

Le collectif déplore aujourd'hui le manque d'informations sur l'édifice et aimerait obtenir un sursis à la démolition pour que de véritables recherches dans les archives soient effectuées. L'idée serait d'identifier l'architecte, expliquent ses représentants, espérant qu'un « grand nom » puisse émerger. Si le nom de Jean-Eugène Ormières architecte orientaliste bordelais de renom, est aujourd'hui avancé par le collectif par rapprochement stylistique (notamment avec la villa algérienne du cap Ferret, démolie en 1966) il ne s'agit que d'une « supposition. » Une manifestation aux abords de la maison est prévue le jeudi 29 juin de 18h à 19h tandis que Nexity - qui a reçu toutes les autorisations de travaux en juin et dont les logements de son futur immeuble ont déjà été commercialisés - a confirmé au Journal des Arts que la maison serait démolie « prochainement ».

Légende photo

Villa mauresque de Pessac © photo La petite pessacaise

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque