Benoît Hamon veut augmenter les concours publics pour la culture à 22 milliards d’euros

Par Jean-Christophe Castelain · lejournaldesarts.fr

Le 9 mars 2017 - 1178 mots

PARIS [10.03.17] – Le JdA s’est associé avec Livres Hebdo et Le film français pour rencontrer les candidats à l’élection présidentielle. Benoît Hamon explique ici la philosophie de son programme et ses projets spécifiques pour les arts. Il souhaite porter les dépenses totales publiques pour la culture à 1 % du PIB.

Avez-vous encore du temps pour des sorties culturelles malgré la campagne électorale ?
Honnêtement elles sont mises entre parenthèses depuis 1 an. Je vais au cinéma ou au musée avec mes filles voir des dessins animés ou récemment l’exposition Color Line au Quai Branly. J’ai visité – sans privilège particulier – les Chefs-d’œuvre de la collection Chtchoukine à la Fondation Vuitton. Je me suis pris de goût pour quelques séries télé comme The Young pope que j’ai trouvé incroyable. Je l’ai mangé allègrement de la première scène à la dernière. C’est un OVNI. Ou The Bridge, une série danoise. Je lis beaucoup, même si en ce moment j’ai tendance à m’endormir sur les livres ! Je ne lis aucun livre d’hommes politiques, ce qui ne m’empêche pas d’en sortir un moi-même pour le Salon du Livre. En revanche je m’intéresse beaucoup aux essais politiques. J’ai ainsi découvert Evgeny Morozov qui a travaillé sur les enjeux démocratiques de la révolution numérique et François Jullien qui a le plus réfléchi sur la question de la transition à partir d’une approche orientale de celle-ci. J’écoute beaucoup de musique, du jazz en particulier.

Votre programme se distingue par un projet général à long terme pour la société, la culture y a-t-elle sa place ?
J’ai encore eu peu l’occasion d’en parler jusqu’ici (à l’exception du débat télévisé du second tour de la primaire qui m’a permis d’y consacrer ma carte blanche) alors que c’est une dimension essentielle de mon projet. Je veux anticiper la transformation du travail en repensant les différents temps de la vie, dont le temps libre et donc la vie culturelle. Comme de nombreuses études le pointent, nous allons vers une raréfaction du travail. Au mieux 10 % d’emplois menacés en France selon l’OCDE, au pire 42 % selon une étude de l’université d’Oxford. Je veux que ce temps libéré du travail devienne un temps d’accomplissement, d’émancipation, d’épanouissement, notamment par l’accès à la culture sous toutes ses formes. C’est du court, moyen, long terme, je ne gouvernerai pas pendant 20 ans, mais je veux donner le cap.

Les ressources publiques actuelles sont-elles adaptées à cette demande supplémentaire de culture ?
Non, elles ne sont même pas adaptées à la demande actuelle. Aujourd’hui la culture reste encore trop réservée à une élite, nous avons raté le rendez-vous de la démocratisation culturelle et avons à construire les droits culturels, la reconnaissances des cultures. Il y a par ailleurs trop d’inégalités territoriales, un phénomène aggravé par la baisse des dotations aux collectivités locales qui entraîne une baisse de leurs budgets culture.
Regardez les DRACS, elles ont la capacité de mettre tout le monde autour de la table mais cela s’arrête là, elles n’ont plus d’argent à distribuer. A la fin, des collectivités s’interrogent même sur leur utilité compte tenu des moyens dont elles disposent.

Et donc vous allez augmenter ces moyens ?
Quand on regarde la totalité des concours publics consacrés à la politique culturelle, on doit être à 19 milliards d’euros hors dépenses fiscales ; je souhaite porter ce montant à 1 % du PIB soit 22 milliards d’euros sur un quinquennat. C’est très ambitieux, et en même temps au regard des efforts dans d’autres domaines, c’est assez raisonnable. Globalement mon programme suppose des dépenses publiques supplémentaires de 33 à 35 milliards d’euros hors revenu universel. Ces moyens supplémentaires pour la Culture passeront par l’Etat mais aussi par les collectivités territoriales – je souhaite mettre fin à la baisse de leur dotation –dans le cadre de nouveaux contrats locaux culturels. Ces moyens doivent permettre notamment de créer dans des zones les moins bien pourvues ce que j’appelle des Fabriques culturelles, des lieux souples, de création et de diffusion de la culture, à l’image de la Friche Anis Gras à Arcueil que j’ai visitée récemment. Ces lieux doivent être construits avec les associations, les citoyens pour faire tomber les barrières, les mots « Musée », « théâtre » cela fait encore peur.

Vous pointez l’échec de la démocratisation culturelle, ne faut-il pas commencer par régler ce problème dès l’école ?
Lorsque j’étais ministre de l’Education nationale, le bilan de l’Education artistique et culturelle que j’avais demandé montrait de forts discriminants liés aux territoires et aux écoles. Il faut qu’on accompagne le plus tôt possible les enfants dans une trajectoire qui leur permette, à l’intérieur des programmes de l’Education nationale de côtoyer la création, les artistes, l’histoire. La culture doit être présente au sein même des programmes, que l’on organise l’inscription de tous les enfants de CP en bibliothèque, développe l’éducation à l’image, les pratiques musicales collectives, les parcours au musée…. Le quinquennat précédent a modifié les rythmes scolaires en dégageant du temps pour des activités périscolaires, parfois remarquables, parfois nettement moins. Or ces activités aident les enfants dans leur apprentissage scolaire. Je souhaite que l’on améliore l’offre, notamment en formant mieux les animateurs éventuellement avec un label Etat.

Un des freins à l’Education artistique et culturelle est la séparation entre le ministère de la Culture et celui de l’Education nationale. Quelle est votre position en la matière ?
Ma religion n’est pas encore faite, il faut construire l’ingénierie administrative en fonction des priorités. Je sais que les gens de la Culture ne voient pas tous d’un bon œil un tel rapprochement. Je me demande s’il n’y a pas une piste à explorer avec un rapprochement avec l’Education populaire. Il y a de grands opérateurs dans ce domaine, et je constate une certaine standardisation des offres culturelles en raison des processus d’appels d’offres, c’est dommage.

Le patrimoine ne semble pas occuper une grande place dans votre programme ?
On ne peut pas dire cela, je souhaite par exemple que l’on crée un Palais des langues françaises. Ce serait un lieu de référence, sans doute en régions, avec un geste architectural. Je porte également un plan global de numérisation et de mise en ligne des collections patrimoniales publiques et des propositions pour la revitalisation des centres bourgs.

Vous êtes député de Trappes, une ville marquée par une forte communauté musulmane et un Islam radical. La culture peut-elle être une arme contre la radicalisation ?
La culture est une arme contre le fascisme sous toutes ses formes, le racisme, l’antisémitisme, le radicalisme islamique. Là aussi les moyens sont insuffisants pour mener cette bataille culturelle. A Trappes, Alain Degois, qu’on appelle « Papy » m’a suggéré de créer des Brigades d’interventions culturelles dans les quartiers. Il faut qu’on arrive à réinstaller une forme d’interpellation des citoyens, remettre en cause la routine du ghetto, les rythmes de la communauté par l’irruption de la culture là où on ne l’attend pas. Il n’y a pas d’Etat, de République sans accès à la culture.

Propos recueillis par :
Jean-Christophe Castelain (Journal des Arts), Laurent Cotillon (Le film français) et Fabrice Piault (Livres Hebdo)
 
Légendes photos

Benoît Hamon © photos Olivier Dion | Livres Hebdo

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque