Politique

Après Mossoul, une autre bataille : sauver le patrimoine irakien ravagé

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 27 février 2017 - 623 mots

PARIS [26.02.17] - Dans la région de Mossoul, d'inestimables sites archéologiques sont devenus des parkings : pour l'Irak et les experts internationaux, une bataille de longue haleine s'annonce pour réparer les ravages causés par le groupe jihadiste Etat Islamique (EI).

Depuis plusieurs mois, la reconquête progressive de vastes pans de territoire par les forces irakiennes, avec l'aide d'une coalition internationale, permet de découvrir l'étendue des dégâts, "plus importants que redouté", selon l'Unesco. A l'apogée du "califat" proclamé en 2014 par l'EI en Irak et en Syrie, plus de 4.000 sites archéologiques irakiens étaient sous la coupe des ultraradicaux sunnites. Pour la seule région de Mossoul, dans le nord du pays, "au moins 66 sites archéologiques ont été détruits, certains ont été transformés en parkings, des lieux de culte musulmans et chrétiens ont subi des destructions massives, des milliers de manuscrits ont disparu", a témoigné le vice-ministre irakien de la Culture, Qais Rasheed, lors d'une conférence organisée en fin de semaine par l'Unesco à Paris sur la réhabilitation du patrimoine culturel d'Irak dans les zones libérées.

L'antique cité assyrienne de Nimrod, vandalisée à coups de bulldozer et d'explosifs, a été détruite à 80 %, a-t-il rappelé. A Mossoul même, où l'armée irakienne mène une vaste offensive pour déloger l'EI, il faudra attendre la fin des combats pour dresser l'inventaire des blessures infligées aux collections du musée de la deuxième ville du pays. En 2014, dès leur arrivée, les jihadistes y ont détruit de précieux objets des périodes assyrienne et hellénistique, les apparentant à de l'idolâtrie.

Fouilles illicites
Les découvertes de l'armée irakienne, au fil de son avancée dans la ville, ne sont pas de nature à rassurer. Repris mi-janvier, le tombeau du prophète Jonas (Nabi Younès), l'un des plus importants sanctuaires du pays, "est bien plus endommagé que nous le pensions", a affirmé Saleem Khalaf, du ministère de la Culture. Ce lieu vénéré par musulmans, juifs et chrétiens, est "menacé d'effondrement à cause des tunnels creusés par les terroristes pour se cacher mais aussi pour se livrer à des fouilles", explique-t-il. Selon lui, plus de 700 pièces archéologiques ont été exhumées sur ce site pour être revendues au marché noir.

D'après les autorités irakiennes, l'EI a par ailleurs vendu des permis de fouilles illicites sur les territoires qu'il contrôlait, alimentant le trafic de biens culturels irakiens. "Nous devons mettre fin au commerce des antiquités irakiennes, adhérer à la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies (qui proscrit tout commerce de biens culturels en provenance d'Irak et de Syrie) et assécher les finances de Daech (acronyme arabe de l'EI, ndlr)", a plaidé Mohamed Iqbal Omar, ministre irakien de l'Education. Bagdad a sollicité Interpol pour récupérer les biens dispersés à l'étranger. "Dans la région, le trafic d'objets provenant de fouilles illégales ne date pas d'hier, souligne France Desmarais, du Conseil international des musées (ICOM). Mais les guerres successives en Irak depuis 2003 ont créé des opportunités supplémentaires".

Sécurisation et surveillance des sites, recensement des biens détruits ou pillés, restauration et numérisation des manuscrits sauvegardés, création de copies des oeuvres manquantes... : pour réhabiliter le patrimoine irakien, la tâche est colossale et promet de prendre des dizaines d'années, préviennent les experts. Mais l'enjeu d'un tel sauvetage dépasse les questions de patrimoine, font-ils valoir. "Partout où la culture se relève, un peuple se relève avec elle", estime Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco. Un point de vue partagé par Najeeb Michaeel. Ce frère dominicain irakien a exfiltré des centaines de manuscrits du XIIIe au XIXe siècle vers le Kurdistan, juste avant l'installation de l'EI dans la plaine de Ninive. "Il faut protéger de concert l'homme et la culture. On ne peut pas sauver l'arbre sans sauver ses racines", plaide ce chrétien.
 

Par Daphné BENOIT

 

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Des soldats américains du 3e régiment de cavalerie blindée à Assur en Irak © Photo The U.S. Army - 2008 - Photo sous Licence Domaine public CC0 1.0

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