Querelle franco-suisse au sujet des Ports francs de Genève

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 21 octobre 2016 - 677 mots

GENÈVE (SUISSE) [20.10.16] - Les Suisses ont invité le ministre français de l'Economie Michel Sapin à visiter les Ports francs de Genève, qu'il accuse de favoriser le financement du terrorisme via le trafic d'oeuvres d'art qui y sont stockées en toute opacité.

Les Ports francs sont des entrepôts, situés dans certaines grandes villes, qui permettent de conserver toutes sortes d'objets, sans payer de droits de douane ni de TVA. Accusés par certains de favoriser l'évasion fiscale ou le trafic d'oeuvres d'art notamment, les Ports francs de Genève, d'immenses entrepôts gardés comme une forteresse, ont suscité des critiques de plus en plus nombreuses, en raison de leur opacité. Ils abritent notamment loin des regards des milliers d'objets d'art, ainsi que la plus grande cave du monde avec quelque 3 millions de bouteilles.

Début octobre, Michel Sapin leur a porté un nouveau coup à l'occasion d'une réunion du G20 à New York. Dans la lutte contre le financement du terrorisme, "il y a un point faible qui est l'existence des Ports francs", a-t-il assuré, expliquant que de l'art dérobé en Syrie ou en Irak pouvait y être stocké avant d'être vendue pour le financement du groupe jihadiste Etat islamique. "Ces Ports francs sont présents dans certains pays, je pense en particulier à la Suisse", a-t-il affirmé, appelant à la mise en oeuvre de "règles de transparence".

Si ces propos "avaient été tenus il y a quelques années, on aurait pu éventuellement leur donner quelque crédit, aujourd'hui ils ne sont simplement pas recevables", s'est insurgé le responsable du département de l'Economie à Genève, Pierre Maudet, sur la radio suisse One FM. Raison pour laquelle "un courrier est parti à l'attention de M. Sapin pour l'inviter à venir se rendre compte sur place", explique le directeur de cabinet de M. Maudet, Patrick Baud-Lavigne, à l'AFP.

Fantasme et incompréhension
Pour M. Baud-Lavigne, "il y a un peu de fantasme et d'incompréhension autour des Ports francs". Aux Ports francs de Genève, les propos de Michel Sapin ont suscité aussi une certaine stupeur, car depuis 2009 il existe une obligation d'inventaire pour les marchandises dites "sensibles", englobant une longue liste de biens établie par l'administration fédérale des douanes, dont font notamment partie les diamants et autres métaux précieux, le matériel de guerre, les boissons alcoolisées et les biens culturels.

L'inspection des douanes suisses, présente dans les Ports francs, peut ensuite procéder à tout moment à des contrôles sur place.

Depuis 2016, de nouvelles règles mises en place par Berne visent en outre à améliorer la surveillance de ces entrepôts : désormais le nom et l'adresse du propriétaire de la marchandise doivent être mentionnés dans l'inventaire des stocks.

Depuis le 19 septembre, les Ports francs de Genève ont par ailleurs décidé d'instaurer un "contrôle des antiquités archéologiques", de sorte que "toute personne désirant entreposer un objet archéologique doit annoncer au préalable son arrivée pour validation".

En juin, les Ports francs de Genève reconnaissaient avoir "été utilisés par le passé pour des trafics d'archéologie". La situation a complètement changé, estimaient-ils, reconnaissant malgré tout que "les conséquences du passé se feront encore sentir quelques années".

Pour le directeur des Ports francs, Alain Decrausaz, qui fait la différence entre oeuvres d'art et objets archéologiques, la nouvelle directive répond aux inquiétudes liées au pillage de sites archéologiques par les terroristes. C'est en Syrie et en Irak, où se trouvent les groupes que Michel Sapin accuse de financer le terrorisme, qu'il y a beaucoup de pièces archéologiques pour lesquelles existe un marché très lucratif.

En cas de doute sur la provenance de l'objet, la société d'audit et de contrôle KMPG pourra demander des renseignements complémentaires et même demander une "inspection complète" de la marchandise, précise à l'AFP M. Decrausaz.

Reste la problématique des contrôles douaniers à l'entrée des Ports francs, reconnaît-il: "cela fait plusieurs fois que nous réclamons beaucoup plus de douaniers pour faire beaucoup plus de contrôles". "Mais l'Administration fédérale des douanes répond qu'ils n'ont pas les moyens aujourd'hui, dans la situation actuelle de l'Europe, par rapport notamment aux migrants, de mettre plus de douaniers aux inspections", regrette M. Decrausaz.

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Le bâtiment des Ports Francs à Genève, Suisse © Photo MHM55 - 2015 - Licence CC BY-SA 4.0

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