Frieze, circulez y a peu à voir !

Par Frédéric Bonnet · lejournaldesarts.fr

Le 10 octobre 2016 - 1026 mots

LONDRES (ROYAUME-UNI) [10.10.16] - La double foire londonienne s’est montrée fort peu excitante, tant dans ses propositions que dans la vivacité des transactions. L’art ancien se fait plus rare à Frieze Master. L’ombre du Brexit plane.

Morne plaine ! C’est bien à cela que s’est apparentée Frieze London, qui s’est tenue à Londres du 6 au 9 octobre et réunissait 162 galeries internationales. Morne plaine car si la foire n’a jamais fait montre d’une exceptionnelle qualité, elle s’est cette année caractérisée par une criante autant que globale absence d’intérêt : rien d’excitant, rien qui ne dépasse, en bref un encéphalogramme plat !
 
Bien peu en effet avaient fait des efforts, comme Wilkinson (Londres) avec Ketty La Rocca et l’inattendu Paolo Gioli, ou Taka Ishii (Tokyo) et un accrochage de photographies tout en subtilité. La visite avait en effet bien mal démarré, avec dès le début des enseignes pourtant respectables offrant des stands piteux. De l’accrochage de David Kordanski (Los Angeles) tout entier dévolu à la peinture il n’y avait guère qu’un tableau pas trop « show off » de John Pestoni à sauver. Sans doute parce qu’à Londres il faut faire clinquant, Sprüth Maggers (Berlin) avait mis l’accent sur des pièces laquées de Gary Hume ou pleines de paillettes de Craig Kauffman, tandis que Contemporary Fine Arts (Berlin) avait composé un stand horrifique mêlant tout et n’importe quoi accroché à touche-touche. Les mauvais exemples étaient légion.

Beaucoup de galeries plus dans la retenue ne sont toutefois pas parvenue à montrer des œuvres palpitantes susceptibles de faire se dresser la paupière. Heureusement le nouveau secteur « The Nineties », rejouant des expositions clefs des années 1990 est venu positivement animer l’ensemble, de même qu’était honnête le secteur « Focus » dévolu aux plus jeunes.

Morne plaine également car le commerce n’y a pas été particulièrement animé. Le démarrage a été très lent et si nombreuses ont été les galeries à se féliciter de la bonne tenue des transactions enregistrées, il n’est pas certain qu’à la clôture de la manifestation tout le monde aura effectivement correctement travaillé.

Moins d'art ancien à Frieze Master

Bien qu’unanimement jugée plus attractive Frieze Masters, dont c’était la cinquième édition, ne s’est finalement pas montrée plus engageante et a perdu le charme qui la caractérisait à ses débuts, pourtant pas si lointains. C’est que le XXe siècle y a définitivement pris le pouvoir, faisant largement dévier son centre de gravité et par-delà son intérêt. Car si l’art moderne et contemporain classique y ont été présents dès le lancement, l’équilibre avec les galeries proposant de l’art ancien ou non occidental s’y était montré subtil.

En n’étant plus que 43 enseignes, sur un total de 133, à exposer de telles formes – et dont 34 seulement y consacraient la totalité de leur stand –, le déséquilibre était manifeste et criant, écornant singulièrement tant la capacité de découvertes que le potentiel éducatif pour un public pas familier de ces périodes ou modes d’expression.

Car pour les habitués des foires d’art moderne et contemporain, ce n’est pas le énième stand consacré aux premières années de Daniel Buren (Continua, San Gimignano) ou un nouvel accrochage dévolu aux protagonistes du mouvement coréen Dansaekhwa (Kukje/Tina Kim, Séoul, New York) qui pouvaient constituer des surprises. Mais plutôt le magnifique stand de manuscrits enluminés de Dr. Jörn Günther Rare Books (Bâle), les dessins amérindiens de Donald Ellis (New York), un portrait de Delacroix en jeune homme exécuté par Géricault chez Jean-Luc Baroni (Londres), ou les sculptures, textiles et porcelaines japonais des XVIIe–XIXe siècles mis en scène par London Gallery (Tokyo).

Le Brexit en toile de fond
Et le Brexit dans tout cela ? A-t-il déjà fait sentir des effets sur le volume ou la qualité des transactions menées sur le marché londonien ? En tout cas il ne semble pas effrayer les galeries étrangères qui continuent de venir s’y implanter, des décisions certes prises avant le mois de juin. Kamel Mennour a ainsi inauguré un espace modeste (80 mètres carrés) mais élégant à l’Hôtel Claridge. Déjà installée à Savile Row, Almine Rech a ouvert 500 mètres carrés supplémentaires à Grosvenor Hill. Skarstedt s’est installé à deux pas du Ritz, au rez-de-chaussée d’une opulente maison de ville, tandis que Cardi a investi les six niveaux d’une maison sur Grafton Street, à deux pas de David Zwirner. Et c’est tout près de Sotheby’s qu’Olivier Malingue a inauguré sa première galerie, 170 mètres carrés qu’il souhaite essentiellement consacrer à l’art d’après-guerre : « L’Angleterre a toujours su attirer le business et les milliardaires, mais nous n’avons aujourd’hui aucune vue sur ce qui peut se passer », concédait-il.
 
Chez les marchands de la place, c’est la méthode Coué qui semble prévaloir. Un tel interrogé sur des conséquences sensibles ou potentielles ? « Il est encore trop tôt pour se faire une idée », éludait-on. La livre sterling qui la même semaine dévisse sévèrement après les déclarations de la Première ministre, Theresa May, qui semble acheminer le pays vers un « hard Brexit » ? « La faible niveau de la livre avantage nos acheteurs étrangers », répondait une autre.

Seul le directeur d’une enseigne de taille moyenne à la réputation solidement établie eut le courage de faire entendre une autre musique : « La vérité c’est que soudainement, depuis le mois de juin, tout a changé, relatait-il. Passé le choc l’ambiance est à un attentisme notable. Les listes d’attente appartiennent au passé et la seule chose qui marche encore bien ce sont les gros prix ; ceux qui prétendent le contraire ne sont pas honnêtes. C’est bien pour les artistes car cela leur donne l’opportunité de grandir plus tranquillement, mais le système peut-il tenir longtemps sans cette spéculation de base qui le soustendait ? J’en doute. Et l’on verra combien de galeries vont fermer, car ce système d’expansion sans fin n’est pas soutenable. »
 
Lucidité ou pessimisme ? Voilà qui en tout cas, sauf à enfouir la tête dans le sable, devrait en conduire plus d’un à réfléchir... et laisser Frieze s’interroger sur la pertinence de son modèle et la qualité de son offre, afin de contribuer à maintenir Londres comme une place attractive.

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Le stand de Kamel Mennour à Frieze London. © Photo : Linda Nylind/Frieze

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