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Biennale de Berlin : premières impressions

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · lejournaldesarts.fr

Le 6 juin 2016 - 730 mots

BERLIN (ALLEMAGNE) [06.06.16] - Le collectif d’artistes new-yorkais DIS, commissaire de la IXème édition de la Biennale (3 juin - 18 septembre), propose un concept post-internet et post-contemporain en exposant un groupe resserré d’une cinquantaine d’artistes.

DIS, un jeune collectif d’artistes new-yorkais, composé de quatre artistes, Lauren Boyle, Solomon Chase, Marco Roso et David Toro a été sélectionné comme curateur de la IXème édition de la Biennale. Berlin accueille sa première Biennale post-numérique. Ce qui n’est guère étonnant pour une ville qu’on rebaptise parfois Silicon Allee, en raison de l’importance toujours croissante du secteur des start-up.

Une des particularités de la Biennale de Berlin est la liberté laissée à ses commissaires de sélectionner les lieux d’exposition de leur choix. Le seul lieu constant est le KW, centre d’art contemporain qui organise l’événement. La capitale étant toujours en pleine mutation depuis la réunification, ce choix est aussi attendu que la liste des artistes participants, tant il est symptomatique des évolutions de la ville.

Mais il s’avère que le choix des lieux est de plus en plus complexe dans une ville où la gentrification se poursuit inexorablement, en particulier dans le quartier de Mitte. Le collectif d’artistes a été confronté à un véritable casse-tête. Lors de ses recherches, DIS s’est aperçu que les lieux décalés qui faisaient le charme des éditions précédentes, les anciennes usines désaffectées, les squats d’artistes, s’étaient transformés en spa, salles de sport ou hôtels. « Nous nous sommes dit : Berlin est passée de la politique au bien-être », déclare Marco Roso. Même le bunker qu’a choisi DIS est devenu l’écrin d’une chic collection privée, la collection Feuerle.

La IXème édition de la Biennale expose un nombre resserré d’artistes, une petite cinquantaine, pour la majorité issue de la « génération numérique », qui a grandi avec internet et les réseaux sociaux. DIS l’a intitulée « The Present in Drag », que l’on pourrait traduire approximativement par le présent travesti. A quoi ressemble une Biennale que ses curateurs revendiquent post-internet, post-numérique, post-contemporaine? Un premier coup d’œil donne une impression superficielle et laisse craindre le pire : des panneaux publicitaires lumineux, la reconstitution d’un point de vente d’appartements de luxe, un écran plat qui diffuse en boucle une vidéo de rap, un bar à jus « détox » concocté par Debora Delmar Corp., dans un décor composé d’ameublement upcyclé.

Mais ce n’est fort heureusement qu’une première impression. Les artistes reproduisent les moyens de communication modernes pour faire passer leurs messages, qui n’en sont que d’autant plus saisissants. Ainsi, la vidéo de Christopher Kulendran Thomas, sensée séduire de potentiels acheteurs d’appartements de luxe, utilise certes les mêmes codes et la même esthétique qu’une vidéo promotionnelle. Mais le message varie radicalement, en explorant l’histoire de la propriété privée, du colonialisme, l’échec du communisme, la mutation du capitalisme à l’image d’entreprises comme Amazon, avant d’arriver au point de chute final : la revendication d’une forme fluide de citoyenneté qui deviendrait élective et non plus héréditaire, et où l’on pourrait streamer son domicile comme on streame une série télé. Homeland, la vidéo rap d’Halil Altindere, s’attaque au thème sensible des réfugiés en Allemagne, en retraçant le parcours de plusieurs d’entre eux de Turquie jusqu’au choc de l’arrivée à Berlin, et en affirmant qu’ils n’attendent qu’une chose, pouvoir rentrer dans leur patrie.

La génération numérique s’interroge également sur des thèmes aussi divers que le bonheur ou le désir sexuel, propose un révisionnisme historique numérique quand la réalité ne leur plaît pas et envisage parfois le pire en imaginant la disparition de l’espèce humaine. Si seuls une cinquantaine d’artistes sont exposés, 120 artistes ont collaboré à cette édition. Certains d’entre eux, tels qu’Isa Genzken, ont créé une bande-son pour accompagner la Biennale. Celle-ci déborde également sur internet avec un blog qui s’intitule l’anxiété du contenu. L’artiste française Camille Henrot aborde brillamment cette problématique avec l’œuvre « Office of Unreplied Emails » (bureau des e-mails sans réponse), exposée au KW. Elle s’attaque courageusement à sa boîte de réception et répond soit avec humour, poésie, ou bien colère selon son humeur aux e-mails de sollicitation de sa banque, de groupon, et de diverses organisations qui réclament son soutien financier ou moral.

La Biennale, qui selon ses organisateurs a attiré 10 000 visiteurs lors des deux premiers jours de visites privées et de la première journée ouverte au public, s’achèvera le 18 septembre, lors de la Berlin Art Week.

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Kunst-Werke, KW centre d'art contemporain à Berlin - Photo Uwe Walter / courtesy Biennale de Berlin

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