L’héritier de Morozov définitivement conforté comme titulaire des droits de reproduction de deux toiles de Matisse et d’une toile de Picasso

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 1 octobre 2015 - 797 mots

PARIS [01.10.15] - Le 10 septembre 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les héritiers de Matisse et Picasso à l’encontre de la décision de la cour d’appel du 18 décembre 2013, rappelant qu’avant 1910 le droit de reproduction était présumé être cédé de concert avec la vente du support matériel de l’œuvre.

La Cour de cassation vient de mettre un terme à une longue saga judiciaire dont les racines remontent aux prémices de l’URSS, et un décret du 29 octobre 1918 pris par Lénine proclamant l’importante collection de tableaux de peintres modernes de l’industriel Ivan Morozov propriété publique de la République Socialiste Fédérative de Russie d’alors.

L’héritier français du rival de Chtchoukine, autre grand collectionneur russe spolié de l’époque, tenta vainement, et à plusieurs reprises, de voir juger que les droits d’auteur collectés sur les tableaux de son ancêtre, désormais dispersés en partie entre les musées de l’Ermitage et Pouchkine et présents dans diverses collections américaines, lui soient reversés.

La dernière procédure, initiée en 2002, vient enfin de s’achever au bénéfice de l’héritier de Morozov, après une décision du Conseil constitutionnel, du 21 novembre 2014, et de la Cour de cassation, ayant rejeté le pourvoi formé par les héritiers de Matisse et de Picasso, qui avaient seuls bénéficié de la perception des droits sur les reproductions des tableaux spoliés.

Toute l’affaire reposait sur la preuve apportée par l’héritier du collectionneur de l’acquisition par ce dernier de six tableaux de Matisse et d’un tableau de Picasso avant la date fatidique du 11 avril 1910, date de publication de la loi du 9 avril. Cette loi vint briser une jurisprudence constante, se fondant sur un décret révolutionnaire des 19-24 juillet 1793, qui disposait que la vente d’un tableau faite sans réserve emporte celle du droit de le reproduire, c’est à dire la cession du droit de reproduction de manière concomitante à la vente du support de l’œuvre de l’esprit. Depuis lors, il existe une présomption légale de réserve du droit de reproduction au profit du vendeur, imposant en conséquence une cession distincte d’un tel droit lors de vente du support d’une œuvre par un artiste.

Et le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’occasion du pourvoi formé par les héritiers de Matisse et Picasso, a déclaré conforme à la Constitution l’article 1er de la loi décrétée le 19 juillet 1793 relative aux droits de propriété des auteurs d’écrits en tout genre, compositeurs de musique, peintres et dessinateurs, dans sa rédaction résultant de la loi du 11 mars 1902 étendant aux œuvres de sculpture l’application de cette loi. Les dispositions antérieures à la loi de 1910 avaient donc vocation à s’appliquer au litige, conformément aux règles régissant l’application de la loi dans le temps en matière contractuelle.

Le 18 décembre 2013, la cour d’appel de Paris avait ainsi constaté que l’héritier du collectionneur rapportait bien la preuve de l’acquisition de chacune des œuvres objets du litige avant le 11 avril 1910, tout en jugeant que les héritiers de Matisse et Picasso n’avaient pas établi qu’à l’occasion des ventes conclues directement entre le collectionneur et les artistes, ceux-ci se seraient expressément réservé le droit exclusif de reproduction de leurs œuvres pour chacune d’entre elles. Ainsi, trois tableaux, parmi les six toiles revendiquées, avaient donc été vendus à l’époque avec le droit de reproduction, dont le bénéfice ne s’éteint que soixante-dix après le décès de chacun des deux artistes, la Cour de cassation ayant validé l’analyse de la cour d’appel sur ce point.

Enfin, la Cour de cassation conforte la décision de la cour d’appel qui s’était prononcée en droit sur « les conséquences du décret de nationalisation de 1918 en retenant que l’Etat russe, en saisissant sans indemnité les deux tableaux litigieux, ne s’était pas approprié les droits de reproduction sur ces œuvres hors les limites de son territoire, ce dont il résultait qu’Ivan Morosoff était resté titulaire de ces droits et avait pu les transmettre à son épouse, instituée légataire universelle par testament du 18 avril 1921 ». Dès lors, les droits de reproduction afférents aux deux tableaux de Matisse Nature morte bronze et fruits et Nature morte à la danse et au tableau de Picasso Les deux saltimbanques ou Arlequin et sa compagne, collectés par les héritiers des deux artistes depuis le 30 août 1972, soit moins de 30 ans avant l’assignation de l’arrière-petit-fils du collectionneur s’étant réfugié à Paris, doivent revenir au demandeur.

Les efforts de l’héritier de Morozov se poursuivent à l’étranger, ce dernier ayant réclamé notamment la restitution du Café de nuit (1888) de Van Gogh, désormais propriété de l’Université de Yale. Après un jugement défavorable le 20 mars 2014 rendu par le tribunal de première instance du Connecticut (Etats-Unis), un appel de la décision est actuellement en cours.

Légende photo

Portrait de Ivan Morozov (devant une toile de Matisse), Valentin Serov, 1910, tempra sur carton, Galerie Tretiakov.

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