La British Library refuse d’accueillir un ensemble d’archives du régime taliban

Par Julie Paulais · lejournaldesarts.fr

Le 2 septembre 2015 - 628 mots

LONDRES (ROYAUME-UNI) [02.09.15] – La British Library collaborait depuis des années avec des chercheurs qui collectaient des archives relatives aux talibans d’Afghanistan. Elle a finalement refusé de numériser et abriter ces documents.

Le vendredi 28 août, la British Library a publié un communiqué sur son site, indiquant son refus d’accueillir et de rendre accessible au public une collection exceptionnelle de documents d’archives du régime taliban, la plupart datant de 1994 à 2001, avant l’invasion américaine de l’Afghanistan.

La British Library se justifie dans son communiqué en évoquant le Terrorism Act, les lois antiterroristes britanniques de 2000 et 2006 : « Bien que l’archive ait été reconnue comme étant de valeur documentaire, il a été décidé qu’elle contenait certains documents qui pourraient aller à l’encontre du Terrorism Act […] l’avis juridique reçu par la British Library et d’autres institutions similaires est de ne pas rendre ce type de documents accessibles. »

Le mouvement taliban (« étudiant » ou « chercheur » en arabe) est un mouvement radical islamiste qui a mené la guerre contre le gouvernement d’Afghanistan jusqu’à la prise de Kaboul en 1996 avec à leur tête le mollah Omar. En 2001 ils sont défaits par une coalition internationale menée par les Etats-Unis. Le régime imposé par cet état islamique de 1996 à 2001 était particulièrement rigoriste et rétrograde. On lui doit notamment la destruction des bouddhas de Bamiyan.

La décision britannique a provoqué la déception des chercheurs du Taliban Sources Project, raconte le New York Times, ces derniers ayant passé près d'une décennie à collecter et traduire en anglais plus d’un millier d’articles de journaux, de magazines, d’émissions de radio, de documents militaires, de même que des poésies écrites par des combattants talibans, dans l'espoir de faciliter une meilleure compréhension du groupe islamique fondamentaliste. À ce jour, l'équipe de 10 personnes a traduit plus de 2 millions de mots.

En 2012, le groupe s’était rapproché de la British Library afin de lui proposer de numériser ces archives, stockées à Kaboul, et de les rendre disponibles en ligne pour la recherche académique. Les chercheurs espéraient bénéficier de l’aura d’une telle institution, et ils ont d’ailleurs reçu des conseils d'un éminent savant et nommé des membres de la Bibliothèque dans le conseil consultatif du Taliban Sources Project. Pourtant, la British Library est revenue sur cet accord.

Alex Strick van Linschoten, l'un des fondateurs du projet, a réagi en qualifiant la décision de la British Library de « surprenante et décevante ». « Il n'y a pas de recettes pour fabriquer des bombes ou quelque chose comme ça. Ce sont des documents qui pourraient aider les gens à comprendre l'histoire, que ce soit les Afghans essayant d'en apprendre davantage sur leur passé récent, ou les étrangers qui veulent comprendre le mouvement », a-t-il déclaré à l’AFP.

La réticence de la British Library à rendre disponible ces archives démontre les contraintes que ces lois peuvent imposer à la recherche universitaire. James Fitzgerald, Professeur à l'Université de Dublin et rédacteur en chef des Etudes critiques sur le terrorisme, a également condamné la décision de la Bibliothèque. « Cela va à l'encontre des fondements de la bonne recherche », a-t-il déclaré. « Vous ne pouvez pas avoir une bonne ou une nouvelle recherche sans données primaires ».

De nombreux chercheurs critiquent le gouvernement, au motif qu’une mauvaise application des lois anti-terroristes freine la recherche universitaire sur les groupes extrémistes. Le New York Times rappelle ainsi qu’en 2008, un chercheur travaillant sur les stratégies terroristes pour sa thèse a été arrêté à l’Université de Nottingham après avoir téléchargé un manuel d'entraînement d'Al-Qaïda.

D’après Artdaily, le Taliban Sources Project s’est désormais rapproché d’autres bibliothèques, notamment celles des universités de Yale et Stanford, ou encore la Bibliothèque nationale suisse, dans l'espoir de trouver enfin un hôte numérique.

Légende photo

La porte de la British Library © Photo C. G. P. Grey - 2005 - Licence CC BY 2.0

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque