Espagne - Préhistoire

Des scientifiques s’opposent à l’ouverture de la grotte d’Altamira

Par Julie Paulais · lejournaldesarts.fr

Le 23 mars 2015 - 797 mots

SANTILLANA DEL MAR (CANTABRIE, ESPAGNE) [23.03.15] – Le directeur de la grotte d’Altamira doit décider prochainement de l’ouverture ou non du site au public rapporte El País. Un collectif de scientifiques a envoyé une lettre à l’Unesco pour manifester leur inquiétude.

La grotte d’Altamira, découverte en 1868 et classée Patrimoine de l’Humanité, joue peut-être son avenir dans les prochaines semaines. Le responsable du site depuis 1991, José Antonio Lasheras, doit prendre une décision concernant l’ouverture au public de la grotte renfermant des peintures rupestres extrêmement fragiles, vieilles de 14 000 ans. Depuis 2002, elle était fermée au public en raison de la présence importante de micro-organismes altérant les pigments des peintures rupestres.

L’ouverture partielle de la grotte d’Altamira depuis février 2014 a provoqué une vive polémique dans la communauté scientifique espagnole. Depuis un an, 250 personnes ont pu visiter la grotte, par groupe de cinq et pour une durée maximale de 37 minutes. Deux camps s’affrontent depuis plusieurs années : ceux qui pensent que les visites conduisent à une modification de l’environnement biochimique de la grotte et conséquemment détériorent les peintures rupestres, et ceux qui défendent le fait que la détérioration observée est un phénomène naturel indépendant de l’ouverture de la grotte au public.

Le danger majeur pour les peintures est la présence de micro-organismes qui se développent en présence de lumière, identiques à ceux observés dans la grotte de Lascaux dans les années 1960. Sergio Sánchez-Moral, chercheur du Conseil supérieur des études scientifiques (CSIC) au département de Géologie du Musée national de sciences naturelles, et Cesáreo Saiz-Jiménez, enseignant-chercheur du CSIC au sein de l’Institut des ressources naturelles et agrobiologiques de Séville, expliquent que la fermeture de la grotte en septembre 2002 a été décidée afin d’éliminer totalement la lumière et d’empêcher la prolifération de ces colonies de micro-organismes destructeurs. Depuis cette fermeture, une baisse de ces organismes a été observée, mais ils sont toujours présents et se multiplieront à nouveau à partir du moment où ils recevront de la lumière régulièrement, ce qui sera le cas si la grotte ouvre au public.

A ce jour, deux études contradictoires ont été menées. La première a été conduite par le CSIC de 1996 à 2012, et conclut qu’ouvrir la grotte d’Altamira représente un danger pour les peintures. Les chercheurs citent les exemples de la grotte de Lascaux, fermée au public à la suite de prolifération des micro-organismes, et de la grotte Chauvet, jamais ouverte au public pour éviter ces problèmes de conservation. Le public peut avoir une idée de ces grottes par le biais de répliques. La majorité des études internationales concernant l’art pariétal se prononcent en faveur d’une fermeture des grottes ornées.

En août 2012, le ministère de la Culture a mis en marche une nouvelle enquête, jugeant que le CSIC se concentrait trop sur la microbiologie alors qu’il était nécessaire de prendre en compte la globalité de l’environnement étudié. Elle a été conduite par une équipe dirigée par l’expert en conservation Gaël de Guichen, un temps responsable de la conservation de la Grotte de Lascaux. Rendue en septembre 2014, elle assure que les visites n’affectent pas les peintures. Leur dégradation serait due à plusieurs facteurs, et il est impossible de mettre en évidence une relation de cause à effet entre la présence de public et les dégradations observées. José Antonio Lasheras, directeur d’Altamira, a affirmé dans plusieurs déclarations à la presse être partisan de l’ouverture de la grotte à la visite.

Interrogé par le journal El País concernant d’éventuelles pressions politiques autour de l’ouverture de la grotte, Oscar Moro Abadía, professeur d’archéologie à la Memorial University of Newfoundland, a affirmé « sans aucun doute […] Il faut prendre en compte le fait qu’Altamira possède une énorme valeur symbolique pour une région comme la Cantabrie ».

A ce moment crucial pour l’avenir de la grotte, le Département de Préhistoire de l’Université Complutense a envoyé une lettre, signée par dix-sept professeurs, à l’Unesco, pour critiquer la gestion de la grotte et le nouveau programme du ministère de la Culture espagnol, qui inclut l’ouverture d’Altamira au public. Cette lettre a également reçu le soutien de l’Institut d’Histoire du Conseil supérieur des études scientifiques (CSIC). Dans cette lettre, les chercheurs dénoncent les actions du ministère, qui selon eux portent atteinte à la conservation de la grotte d’Altamira. Ils rajoutent : « puisque ni les preuves scientifiques ni le nombre de visiteurs prévus ne viennent soutenir l’ouverture de la grotte, on ne peut que reconnaître que ce sont la pression politique et les positions électorales qui sous-tendent les mesures prises par le ministère de la Culture de l'Espagne ».

Le ministère, qui a refusé de s’exprimer sur le contenu de cette missive, a toujours réfuté ce dernier argument des scientifiques. Le directeur d’Altamira a également refusé de s’exprimer concernant cette lettre.

Légende photo

Relevé en couleur d'un des bisons de la caverne d'Altamira dans Cartailhac, E. & Breuil, H. (1906): «La caverne d'Altamira à Santillane, près Santander (Espagne)». Monaco © Photo Emile Cartailhac - 1906

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