Restitutions

La tumultueuse histoire de la Beethovenfries

Par Cléo Garcia · lejournaldesarts.fr

Le 9 mars 2015 - 718 mots

VIENNE (AUTRICHE) [09.03.15] – La Commission chargée des biens spoliés a décidé de ne pas restituer la Beethovenfries peinte par Gustav Klimt en 1901 et qui fut, avec le Monument à Beethoven de Max Klinger, la pièce maîtresse d’une exposition consacrée au compositeur au Palais de la Sécession à Vienne en 1902. Retour sur une histoire agitée.

La Beethovenfries de Gustav Klimt restera à l’endroit où elle s’offrit pour la première fois au public il y a 103 ans au Palais de la Sécession à Vienne. C’est ce qu’a décidé la Commission chargée des biens spoliés vendredi 6 mars 2015. Depuis 2013, des héritiers de son propriétaire de l’époque en revendiquaient la propriété.

Beethoven, Vienne et la Sécession
Le départ du sol autrichien de la Beethovenfries aurait signifié son arrachement à son écrin originel, la Palais de la Sécession, mais également son déracinement du berceau culturel dans lequel elle naquit. Il s’agit d’une œuvre majeure de la Sécession, mais elle témoigne également d’une importante facette de l’histoire culturelle viennoise : avec Paris, Vienne était le principal pôle de réception de l’œuvre et de la biographie de Beethoven. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, cette réception, qui s’exprime aussi bien par la place accordée aux œuvres du compositeur dans les répertoires des différentes salles de la capitale viennoise que par la richesse de la littérature et de l’iconographie beethovénienne, tourne véritablement au culte.

La Beethovenfries est réalisée en 1901 par Klimt pour la XIVe exposition de la Sécession, consacrée à Beethoven. Avec le Monument à Beethoven de Max Klinger, qui déifie le compositeur allemand grâce à une complexe et fastueuse superposition d’iconographies, la frise de Klimt constitue la pièce maîtresse de cette manifestation presque liturgique consacrée au compositeur. En cela, elle est un témoignage de l’ampleur du culte de Beethoven qui s’est développé, à partir du mythe romantique constitué du vivant du compositeur, chez les artistes et écrivains du XIXe siècle et notamment chez l’également très vénéré Richard Wagner, qui en apporte à cette époque dans ses écrits une lecture nouvelle.

L’odyssée d’une œuvre monumentale
Malgré son histoire agitée, l’œuvre est toujours restée en Autriche. La frise allégorique de 34 mètres, qui figure la Symphonie n°9 de Beethoven en trois panneaux (Génies, l’Humanité souffrante et chevalier ; Les puissances hostiles (Gorgones, Géant, Les Passions défendues, la Misère) ; Génies et Poésies, Arts, Chœur et Embrassement), est exposée pour la première fois en 1902 au Palais de la Sécession. Elle y reste une année après la fin de l’exposition, jusqu’à ce que l’industriel Carl Reininghaus l’acquiert et la fait détacher de ses murs. Douze ans plus tard, Reininghaus la vend au collectionneur August Lederer.

A la mort de celui-ci en 1936, des parties de la frise sont réexposées au Palais de la Sécession mais en 1939, l’œuvre est saisie par les nazis qui la conservent dans un dépôt. En 1943, pour préserver le cycle de Klimt de la destruction, elle est transportée de Vienne au château de Thürnal, près de Wargram. Après la guerre, elle est officiellement restituée à Erich Lederer, l’héritier d’August, qui réside à Genève. Mais l’Autriche interdit l’exportation de l’oeuvre.

Au cours de la décennie suivante, alors que la frise est transférée de châteaux en dépôts sans jamais être exposée, Erich Lederer déplore de ne pouvoir la faire quitter le pays et qu’elle ne soit vue par personne. « Depuis 24 ans, l’Autriche la convoite […] et moi, je n’ai pas le droit de l’exporter ! Je me réjouirais grandement si l’on m’achetait enfin cette frise interdite d’exportation », écrit-il en 1970. Deux ans plus tard, l’Autriche acquiert l’œuvre pour 750 000 dollars. Après des travaux de restauration de plus d’une décennie, la frise retourne au Palais de la Sécession en 1986, l’année de la mort d’Erich Lederer. Une nouvelle pièce lui est entièrement consacrée.

En 2013, des héritiers d’Erich Lederer se manifestent auprès du ministère de la Culture autrichien, avançant l’argument que la vente de l’œuvre à l’Autriche a été effectuée sous la pression de l’interdiction d’exportation. Epilogue de l’histoire, le 6 mars 2015, la Commission chargée des biens spoliés décide de ne pas restituer l’œuvre qui restera au Palais de la Sécession, n’ayant pas pu établir de « lien direct » entre l’interdiction d’exportation et l’achat par l’Autriche en 1972.

Légende photo

Les Gorgones sur la frise de Beethoven de Klimt, 1902, conservée à la Austrian Gallery Belvédère à Vienne- © Photo Gustav Klimt

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