Musée - Police

Un milliardaire russe accuse Londres d’avoir tenté d’empêcher Poutine d’offrir un œuf Fabergé à l’Ermitage

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 12 décembre 2014 - 841 mots

MOSCOU (RUSSIE) [12.12.14] - Alexander Ivanov, le riche donateur russe d’un œuf de Fabergé remis en grande pompe le 8 décembre dernier par Vladimir Poutine au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, a été l’objet d’une perquisition des polices allemandes et britanniques dans son musée en Allemagne. Il accuse le gouvernement britannique d’avoir voulu « saboter » la cérémonie.

Lorsque le président russe a remis en grande pompe le plus cher des œufs Fabergé au musée de l’Ermitage lundi 8 décembre, tout le monde ignorait que, dix jours plus tôt, les services fiscaux de sa majesté avaient mené une opération coup de poing contre le donateur, un richissime collectionneur d’art russe. Voulaient-ils mettre un terme à une fraude fiscale massive ou bien empêcher le président russe de transmettre à l’Ermitage « l’œuf Rothschild », comme l’affirme le collectionneur Alexander Ivanov ? Cette affaire donne aux célébrations du 250e anniversaire du plus fameux musée russe une tournure géopolitique, agrémentée d’un parfum d’espionnage.

Alexander Ivanov, 48 ans, a raconté au Journal des Arts que son musée privé de Baden-Baden (Allemagne) a fait l’objet le 1er décembre d’une descente de 40 policiers, des douaniers britanniques accompagnés de policiers allemands. « Ils cherchaient manifestement l’œuf Rothschild que j’ai acheté en 2007 à Londres. Malheureusement pour eux, cet œuf a été exporté en Russie juste après son achat, où il est resté depuis ». Conçue en 1902 par Karl Fabergé pour le baron Edouard de Rothschild, l’oeuvre a battu tous les records de prix, dépassant les 18 M$, lors d’une vente en novembre 2007 chez Christie’s à Londres.

Sergueï Avtonoshkin, directeur du musée Fabergé de Baden-Baden et proche collaborateur d’Alexander Ivanov, indique que la douane britannique subodore que ce dernier a omis de verser 70 000 livres sterling en TVA sur sa collection. « Une accusation absurde en ce qui concerne l’œuf de Fabergé, puisque les oeuvres exportées hors de l’Union Européenne ne sont pas soumises à cette taxe », précise-t-il. Mais les autorités britanniques pensent que « l’œuf Rothschild » a longtemps été conservé dans l’Union Européenne.

M. Avtonoshkin a déjà été interpellé et interrogé à plusieurs reprises par les douaniers britanniques. 60 oeuvres qu’il s’apprêtait à emmener avec lui vers Moscou pour le compte de M. Ivanov ont été saisies à l’aéroport d’Heathrow en 2012 et n’ont toujours pas été restituées. M. Avtonoshkin entendait prendre une correspondance à Paris pour Moscou, et les douaniers ont suspecté une fraude courante, consistant à feindre l’exportation hors Union Européenne.

La coïncidence entre la descente massive et musclée des douaniers à Baden-Baden et la remise solennelle de l’œuf Fabergé à l’Ermitage par Vladimir Poutine lui a mis la puce à l’oreille. « Vous ne pouvez ignorer qu’il existe aujourd’hui une atmosphère antirusse », affirme M. Avtonoshkin. « On cherche à nous intimider. Ma voiture et ma maison ont été fouillées de fond en comble ». Il pense que les policiers recherchaient tout spécialement l’oeuf de Rothschild. « Ils n’ont pas touché aux oeuvres d’art du musée et se sont contenté de les photographier ». M. Avtonoshkin soupçonne donc les services britanniques d’avoir voulu « saboter » la transmission de l’oeuvre au musée de l’Ermitage par Vladimir Poutine. « Comment les britanniques ont-ils eu vent de cet événement organisé dans le secret absolu? » s’interroge-t-il, suggérant que les services secrets britanniques surveillent ses activités. « Je ne suis pourtant pas d’un naturel paranoïaque, mais je me sens épié” » lâche-t-il sur le ton de la plaisanterie.

M. Ivanov, qui a fait fortune dans l’importation d’ordinateurs en Russie au début des années 90, a constitué ensuite une des plus vastes collections mondiales de joaillerie Fabergé, avec 3 000 objets. « Mon intention est depuis toujours de rapatrier l’héritage culturel russe », explique cet homme, qui se définit comme un « patriote russe ». Sa collection personnelle s’étend à bien d’autres domaines, de l’art grec ancien jusqu’aux impressionnistes, et aurait une valeur supérieure au milliard de dollars. Son patriotisme ne l’empêche cependant pas de conserver le gros de sa collection à Baden-Baden en Allemagne, et de projeter l’ouverture d’un second musée Fabergé à Dubrovnik (Croatie). « Je souhaiterais ouvrir un musée dans l’ancien atelier de Karl Fabergé à Moscou », explique M. Ivanov au Journal des Arts, « mais bien que ce lieu appartienne à l’Etat, on cherche à m’extorquer des sommes faramineuses pour sa location ». Il regrette de « ne pas disposer de ressources administratives » lui permettant de mener à bien son projet moscovite, en dépit du fait qu’il connaisse l’homme le plus puissant du pays, puisqu’il lui a remis « l’oeuf Rothschild » l’été dernier. « Je ne souhaitais pas me mettre en avant en l’offrant directement à l’Ermitage. C’était au chef d’Etat de le faire », estime-t-il. Un geste de vassalité envers Poutine, devenu une tradition dans la Russie d’aujourd’hui. Il n’est pas exclu qu’en l’échange de cette soumission démonstrative, M. Ivanov espère obtenir une protection contre le fisc britannique. Pourquoi aurait-il sinon attendu le lendemain de la cérémonie à l’Ermitage pour se dire victime d’un complot russophobe ?

Légendes photos

Alexander Ivanov

Karl Fabergé (1846-1920), Oeuf de Rotschild (1902) - 27 x 11,5 cm - 3,645 kg - Vendu le 28 novembre 2007 chez Christie's Londres pour 8 980 500 £ / 18 499 830 $ / 12 509 837 € © Photo Christie's Images Limited

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