Société

Chasse aux sorcières contre l’exposition « Exhibit B »

Par Séverine Petit · lejournaldesarts.fr

Le 20 novembre 2014 - 687 mots

PARIS [20.11.14] – Déprogrammée à Londres en septembre dernier, l’exposition « Exhibit B », qui dénonce le système colonial en reconstituant un zoo humain sous la forme de performances, fait face à une mobilisation de collectifs la qualifiant de raciste.

Programmée au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis et au CentQuatre à Paris, la performance créée par Brett Bailey, « Exhibit B », dénonçant la colonisation ainsi que le spectacle des zoos humains dans les années 1850-1940 en les recréant, est aujourd’hui l’objet d’une chasse aux sorcières avant même son ouverture.

Dérangeante, l’exposition l’est sans aucun doute. Mettant en scène des personnes noires, statiques, enfermées dans des cages de verre, certaines fois dénudées et généralement dans des situations dégradantes, elle tente d’exorciser le fantôme de la colonisation, notamment celui des zoos humains dont le point d’orgue fut l’exposition coloniale de 1931 en France. A travers douze tableaux vivants, des acteurs recréent la perversité de l’exhibition par les blancs d’individus issus de populations colonisées : corps enchaînés, parés de vêtements traditionnels, bâillonnés... La parole n’a pas sa place ici mais la force du discours se lit sur des pancartes accompagnant chaque scène. « Les noirs ont été nourris », « Attention »… Le spectateur est appelé par un numéro pour entrer dans la salle et se trouve alors face à lui-même et face à l’Histoire.

L’exposition, présentée à Londres dans la galerie Barbican au mois de septembre, a provoqué un tollé en Angleterre. Déprogrammée à la suite d’une pétition ayant réuni près de 23 000 signatures, la contestation a également été soutenue par deux des plus grands syndicats britanniques, PCS et UNITE. Une pétition a également été adressée en France, à la direction des deux centres d’art qui hébergeront la performance ainsi qu’aux maires de Paris et Saint-Denis alors même que l’exposition n’en est pas à sa première programmation dans l’hexagone. Notamment présente au Festival d’Avignon en 2013, ainsi qu’au CentQuatre ou à Strasbourg, l’exposition n’avait rencontré aucune critique, ni pétition et encore moins de tentative d’interdiction. Ce qui change la donne aujourd’hui est la mobilisation britannique dont l’écho a été entendu par John Muller, enseignant à l’Université Paris Est (Paris XII), spécialiste du syndicalisme en Grande-Bretagne et initiateur de la pétition.

Cette pétition, réunissant aujourd’hui presque 8 500 signataires, pointe du doigt une mise en scène raciste dont le cynisme arrogant est outrageant. « L’exposition est une insulte à ceux et celles […] qui se trouvent bien obligés de comprendre le racisme parce qu’ils le subissent quotidiennement » assène John Muller. Ce qui est d’autant plus aberrant, selon les opposants au projet, est que l’accès aux salles d’exposition pour les artistes noirs serait limité. Certains détracteurs dénoncent également la nationalité de l’artiste. Pour le sociologue britannique Kehinde Andrews, dont les propos sont rapportés par France24, Brett Bailey est « un Sud-Africain [blanc] qui a grandi dans un environnement qui a réprimé la majorité de ses habitants. Sa démarche est clairement maladroite. » Un argument scandaleux pour Pascal Blanchard, historien et spécialiste de l’Empire colonial.

Du côté des organisateurs, la mobilisation s’organise pour contrer cette offensive. Virginie Duval, responsable du service presse du CentQuatre, s’inquiète du sort réservé à la liberté d’expression à la lumière de l’affaire McCarthy lors de l’édition 2014 de la FIAC et de la récente polémique autour de l’exposition du « Zizi Sexuel ». Dans un communiqué, Jean Bellorini, directeur du Théâtre Gérard Philippe, et José-Manuel Gonçalvès, directeur du CentQuatre, rappellent que « cette œuvre d'art dénonce sans ambiguïté toute forme de déshumanisation, de racisme. Dans chaque tableau vivant, le caractère plastique extrêmement précis basé sur des faits historiques permet la mise à distance et interdit toute possibilité d'impression dégradante. » Pour eux, programmer « Exhibit B » est donc un acte responsable, notamment « à l'heure où le raccourci de la pensée devient l'emblème de notre société ».

L’exposition sera bien présentée du 27 au 30 novembre au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis et du 7 au 14 décembre au CentQuatre à Paris. « Exhibit B » ne prétend pas à un discours moralisateur mais souhaite ouvrir le débat en déconstruisant un honteux passé.

Légende photo

Affiche de l'exposition coloniale de Marseille de 1906 - © Photo Wikipédia

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