Le projet d’un investisseur munichois menace l’imposante et emblématique fresque berlinoise du street artist Blu

Par Cléo Garcia · lejournaldesarts.fr

Le 16 octobre 2014 - 676 mots

BERLIN (ALLEMAGNE) [16.10.14] – Une des fresques de street art les plus célèbres de Berlin, ornant depuis 2007 les pignons de deux immeubles au cœur du quartier de Kreuzberg pourrait disparaître pour faire place à un projet immobilier. Les nombreux opposants au projet y voient une manifestation de la « liquidation » de Berlin par les promoteurs immobiliers.

Au cœur du quartier de Kreuzberg, l’imposante fresque peinte en 2007 et 2008 par le street artiste italien Blu est bien connue des Berlinois et des touristes. Mais un projet immobilier d’Artur Süsskind, un investisseur munichois, menace cette œuvre chère à de nombreux habitants de la capitale allemande. Peinte sur les pignons de deux immeubles construits côte à côte sur le Cuvrystraße, cette fresque monumentale a la malchance de s’élever au-dessus d’un grand terrain vague sur lequel Süsskind souhaite faire construire 250 appartements, un kindergarten et un supermarché à partir de 2015, rapporte le Berliner Zeitung.

Le diptyque monumental peint en blanc, noir et jaune représente sur le bâtiment de gauche un homme sans visage qui réajuste sa cravate, exhibant ainsi ses poignets ceints par deux montres couleur or reliées à la manière de menottes par une épaisse chaîne. Sur l’immeuble de droite, deux personnages se font face et tendent une main en direction de l’autre pour lui ôter le masque qu’il porte, tout en esquissant de l’autre main le signe « E » et « W », signifiant dans le milieu du hip-hop U.S. une revendication à la « West Coast » ou à la « East Coast ». L’artiste fait ainsi allusion à la réunification de l’Allemagne et de Berlin autrefois séparés en deux Etats à l’Est et à l’Ouest.

Le projet fâche de nombreux Berlinois. Une pétition sur le site Change.org a été lancée et elle a recueilli à la mi-octobre près de 5 500 signatures. Les initiateurs espèrent faire classer les deux bâtiments, mais la bataille s’annonce difficile pour arrêter le projet de Süsskind : celui-ci a déjà obtenu son permis de construire, accordé par l’administration du Sénat pour le développement urbain (Senatsverwaltung für Stadtentwicklung). De plus, selon la porte-parole de cette administration contactée par le Tagesspiegel, « une œuvre ou bâtiment peut acquérir le statut de monument historique à la condition qu’il ait une importance historique, urbanistique ou culturelle, et je ne suis pas en mesure d’estimer en quelle mesure cette œuvre de street art répond à ces conditions.». Elle ajoute également que les monuments berlinois les plus jeunes datent des années 1970. « Cette œuvre de street art est peut-être simplement trop jeune », résume-t-elle.

Les initiateurs des protestations défendent justement la fresque de Blu comme faisant partie d’un patrimoine culturel berlinois : « Cette œuvre, un discours sur la transformation de la ville autrefois divisée, est aujourd’hui un symbole pour le street art berlinois et surtout une précieuse contribution à l’identité culturelle de la ville. » La destruction de ce patrimoine au profit d’appartements flambants neufs « de luxe », selon eux, est une nouvelle manifestation de la transformation de Berlin et de ses quartiers populaires comme Kreuzberg par des investisseurs, dépossédant les habitants de leur ville : « La ville de Berlin fait sa promotion en mettant en avant sa scène alternative et la dépossède ainsi d’elle-même à la fois. On peut purement et simplement parler de rachat de la ville par des investisseurs qui ne voient dans les emblèmes de la ville que le profit pécuniaire personnel. Mais l’identité de la ville appartient à nous tous ».

Il est vrai que ce projet semble s’inscrire dans le phénomène plus large de la rapide gentrification de la capitale allemande qui se manifeste notamment par de nombreuses expulsions de locataires berlinois vivant depuis des générations à Kreuzberg ou Neukölln depuis que ces quartiers sont devenus à la mode (à ce sujet, voir le documentaire Wem gehört die Stadt (A qui appartient la ville ?)) ou par le récent rachat de Tacheles par la firme Perella Weinberg Partners L.P. en septembre 2014, célèbre squat occupé par des artistes depuis les années 1990.

Légende photos

Oeuvres du street artist Blu, Cuvrystraße, Berlin - © Photo OTFW ; source - 2012 - Licence CC BY-SA 3.0

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