Deux musées américains demandent l’annulation d’une vente parisienne d’objets amérindiens

Par Sarah Barry · lejournaldesarts.fr

Le 5 avril 2013 - 696 mots

ARIZONA (ÉTATS-UNIS) [05.04.13] – Des objets sacrés de tribus amérindiennes doivent être vendus aux enchères le 12 avril 2013 à Paris, provoquant l’indignation des communautés concernées. Deux musées de l’Arizona réclament la restitution des artefacts, la maison de ventes parle d’un « faux procès ».

La tribu Hopi, ainsi que le Heard Museum de Phoenix et le Museum of Northern Arizona, protestent contre la mise aux enchères prochaine de 70 masques conçus dans le cadre des rituels sacrés de la communauté amérindienne. Ceux-ci doivent être proposés à la vente le 12 avril 2013 par la maison Néret-Minet Tessier & Sarrou à Paris ; les estimations avancées sur le catalogue vont de 1500 à 50 000 euros.

Appelés « amis katsinam », ces masques ont été fabriqués par des membres de tribus amérindiennes à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le plus important parmi eux, estimé entre 40 000 et 50 000 euros, est un heaume Angwusnasomtaqa (« Mère-Corbeau » en hopi) orné de deux ailes de corbeau déployées. Chaque masque représente un personnage particulier, qui s’incarne dans son porteur lors du rite religieux et sert de medium pour connaître la volonté des esprits. Habité par cette croyance, le peuple Hopi, fort de 18 000 membres, considère ces masques comme des objets sacrés voire même des êtres vivants.

C’est sur la base de cet argument que les porte-parole des deux musées de l’Arizona ont tenté de sensibiliser les commissaires-priseurs français à la cause des Amérindiens. Sur la page facebook du Museum of Northern Arizona, son directeur, Robert Bruenig, a publié une lettre ouverte, en anglais et en français, adressée à la maison de ventes parisienne. Il y demande « le retrait desdits amis katsinam de toute vente présente ou future » et leur restitution, arguant que « cette vente annoncée des amis katsinam, ainsi que leur exposition publique et internationale, est source d’outrage, tristesse et angoisse - profonds et réels - parmi les membres des tribus concernées. Pour eux, les amis katsinam sont des êtres vivants … ». Et d’ajouter que « par coutume et par loi tribale, leur vente, donation ou dation par qui que ce soit, est proscrite ».

En sa qualité de musée consacré à l’art et à la culture des natifs américains, le Heard Museum a engagé une démarche similaire. Sur sa page facebook, il a pris position contre les enchères du 12 avril, en reformulant les principes émis par le bureau de préservation de la culture Hopi : « ces objets sacrés n’auraient jamais dû quitter la juridiction de la tribu Hopi » et on ne saurait leur attribuer une « valeur commerciale ». L’institution signale par ailleurs qu’un tel projet de vente préoccupe vivement ses employés amérindiens.

Dans un entretien téléphonique au Journal des Arts, Me Néret-Minet, commissaire-priseur de la maison de ventes, a déclaré ne pas se sentir concerné par ces revendications, évoquant les innombrables cas du même type qui traversent le monde des enchères et les relations culturelles entre les différentes nations productrices et promotrices d’art religieux. « Tout est sacré dans l’art, et la religion est un moteur de l’art », dit-il, « on attend que les Chrétiens réclament les Vierges à l’Enfant qui sont exposées au Musée de Cluny ».

Interrogé par ailleurs sur les circonstances dans lesquelles les masques sont parvenus jusqu’à Paris, Me Néret-Minet affirme que quelques décennies auparavant, avant ce regain d’intérêt pour leur passé, les membres de la tribu Hopi n’ont pas hésité à vendre ces objets à des collectionneurs américains, qui les ont monnayés à leur tour. « Ils me traitent de voleur », déplore Me Néret-Minet, « alors que ces objets ont été achetés ». Selon le commissaire-priseur, les plaintes venues d’Arizona sont un « faux procès ».

Il estime par ailleurs qu’avec le catalogue scientifique très érudit qui a été rédigé, la maison Néret-Minet Tessier & Sarrou met en valeur des artefacts qui auraient disparu aujourd’hui s’ils étaient demeurés dans leur fonction rituelle.

Me Néret-Minet signale enfin que le Musée du Quai Branly a fait part de son intérêt pour l’ensemble mis en vente ; une acquisition qui assurerait de bonnes conditions de conservation aux amis katsinam.

Légendes photos

L'affiche de la vente « Masques Katsinam » prévue le 12 avril et organisée par la maison Neret-Minet Tessier & Sarrou à Drouot Richelieu

Masque Heaume ANGWUSNASOMTAQA ou TUMAS CROW MOTHER (Colton 12) - Mère-Corbeau de la première mesa. HOPI, Arizona. Ca. 1880 - Estimation : 40 / 50.000 euros - Lot n°60.

Source www.neret-tessier.com

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