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L’argent et la société de consommation, sources d’inspiration des jeunes artistes chinois

Par Sébastien Le Belzic · lejournaldesarts.fr

Le 29 janvier 2013 - 821 mots

PEKIN / CHINE

L’UCCA à Pékin présente une nouvelle exposition consacrée aux œuvres de 50 jeunes artistes chinois. Une nouvelle génération inspirée essentiellement par leur rapport à l’argent et la société de consommation, comme ils le disent eux-mêmes.

L’exposition intitulée « ON / OFF » tire son nom de l’interface d’un VPN. Ce réseau privé virtuel permet d’échapper à la censure de l’Internet en Chine et naviguer librement sur la toile. Le musée UCCA à Pékin a rassemblé pour la première fois les œuvres d’une cinquantaine de jeunes artistes chinois, nés après 1975, et qui s’inspirent tous de la Chine d’aujourd’hui et de ses dérives.

Li Liao est certainement celui qui a poussé le plus loin le travail de dénonciation du système capitaliste dans lequel s’englue la Chine, après un formidable travail d’immersion dans le monde ouvrier. Pendant plus d’un mois, ce jeune homme de Shenzhen, dans le sud de la Chine, a travaillé dans une usine de Foxconn. La sulfureuse multinationale qui assemble les iPhone, iPad et autres produits phares de l’iconique Apple dans des usines gigantesques où travaillent plus d’un million de chinois.

« J’ai appelé mes œuvres "Consommation" parce que de nos jours chacun doit travailler pour s’acheter le travail d’un autre. J’ai passé 45 jours chez Foxconn et j’ai juste pu acheter un iPad alors que j’ai du contribuer à en fabriquer des milliers. Je m’intéresse à cette idée de circulation entre la production et la consommation. La plupart des ouvriers que j’ai côtoyés ne pourront jamais s’offrir d’iPhone. Les valeurs d’ouverture, de puissance ou de haute technologue qu’Apple véhicule sont en complète contradiction avec la condition réelle des ouvriers chinois ».

La plupart des jeunes artistes exposés à l’UCCA travaillent sur cette relation entre l’argent, la consommation et le travail. La politique est généralement absente de leurs œuvres, contrairement à certains de leurs aînés. « Je n’utilise pas l’art comme un outil de dénonciation, mais comme un reflet naturel de notre environnement. La censure, la propagande, le contrôle du Parti communiste sur la société. Tout cela nous entoure et m’inspire », assure Li Liao. Même réflexion pour le jeune vidéaste Huang Ran : « On ne peut s’opposer à la censure en s’y opposant frontalement. L’art contemporain ne peut pas faire abstraction de la situation politique et sociale en Chine ».

« Il faut trouver de la joie dans la misère », lance le photographe Ge Lei dont les œuvres sont également exposées à Pékin. Son travail porte sur les relations entre le développement parallèle de la photographie et du capitalisme en Chine. « J’aime la censure. Sans elle, il n’y aurait pas de bonnes œuvres »…

Pour ces jeunes chinois, l’ennemi est plutôt à chercher du côté de l’argent. « L’art doit prendre en compte la société qui l’entoure et dans le même temps la société nous influence tous les jours, explique Li Liao. Prenez l’argent. Beaucoup de mes amis comme moi ont des problèmes d’argent. La vie est difficile. Il faut travailler. Moi-même, j’ai fait plein de petits boulots. Cette pauvreté des artistes chinois va forcément influencer notre travail ».

C’est également le quotidien qui inspire Li Shuiri. « Mes parents viennent d’un milieu modeste, explique cette jeune peintre. Ils sont surpris de voir que certaines de mes œuvres se vendent. Pour mes parents cela reste un mystère. Ils voulaient que je fasse un vrai métier, mais ils sont contents de voir que je peux gagner ma vie avec mes créations. J’ai toujours été inspirée par la vie des gens pauvres. Des travailleurs migrants comme mes parents. Ce sont eux qui font tourner la Chine et nous profitons de leurs services chaque jour ».

« Le plus grand danger qui nous guette est l’argent, reprend Ge Lei. Dans les années 80 et 90, les artistes devaient se soumettre à l’art officiel et à l’Etat. Aujourd’hui, c’est la surconsommation de l’art contemporain qui est le principal danger. Beaucoup de jeunes artistes chinois draguent les galeries et veulent satisfaire le goût des acheteurs pour devenir riches. Moi, je travaille à côté pour financer mon art. La plus grande difficulté pour créer vient de l’intérieur, pas de l’extérieur ».

« En Chine, tout est extrême, explique l’artiste Huang Ran. Nous devons nous adapter à la situation. Créer, tout en étant flexible. L’argent ne peut pas être une fin en soi, mais elle peut être un matériau qui stimule la création ». Huang Ran s’intéresse dans ses œuvres aux interdits et à la censure. Des portes grillagées gigantesques et des caméras de surveillance. « Ce sont des cadres qui nous enserrent. Nous sommes devenus dépendant de la sécurité et c’est cette sécurité qui crée l’insécurité dans laquelle nous vivons ».

« Les artistes chinois ont toujours besoin de se justifier ou prouver quelque chose, conclut Huang Ran. Nous connaissons une situation ambivalente où l’on nous parle d’argent et de censure, alors que nous ne sommes que d’humbles créateurs. Aucun artiste ne peut faire abstraction du quotidien. Et notre quotidien en Chine est tellement divers que nous avons encore de la marge pour nos créations ».

Légende photo

Li Liao - Consumption - « ON | OFF: China’s Young Artists in Concept and Practice », 2013, installation view. © Photo : Dora Tang - Courtesy UCCA

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