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L'Egypte dépoussiérée de ses pharaons

Par Pierre Morio · L'ŒIL

Le 19 avril 2012 - 1209 mots

Les musées ont compris le bénéfice qu’ils pouvaient retirer des expositions sur L’Égypte antique, quitte à les bâcler. 2012 voit cependant quelques initiatives dépoussiérer le genre

À l’évocation de l’Égypte, tout Indiana Jones qui sommeille en nous se réveille. Car l’Égypte ancienne reste une des civilisations qui fascinent le plus le public. Ces dernières années, l’actualité n’a pas manqué d’expositions plus ou moins convaincantes sur le sujet. Les musées ayant bien compris la manne financière que représentaient de tels événements, montés parfois au mépris de la rigueur scientifique. Mais la tendance semble aujourd’hui s’inverser. Plusieurs expositions montrent l’Égypte sous un aspect nouveau, sans doute en raison d’une exigence plus grande manifestée par les visiteurs des musées de beaux-arts.

Un intérêt pour les marges chronologiques
Ainsi Diana Craig Patch, conservatrice au Metropolitan Museum de New York et commissaire de l’exposition « L’aube de l’art égyptien », peut-elle confier : « Je crois que le public qui vient au Metropolitan Museum est toujours intéressé par la découverte de l’Égypte antique. Bien que le Nouvel Empire reste le mieux connu, nous avons constaté que nos visiteurs sont toujours sensibles à l’art égyptien d’autres périodes. »

Pour satisfaire cette soif de connaissance, les institutions ont choisi deux approches. La première, proposée par le Metropolitan et par le Musée Jacquemart-André, consiste à s’intéresser aux marges chronologiques de l’histoire pharaonique. Ces périodes délaissées par les conservateurs, car peu prestigieuses au regard des époques classiques, sont pourtant une source d’avancées importantes dans la compréhension du mode de pensée de la civilisation. La seconde approche conduit les musées à mettre en valeur leurs fonds à partir de thématiques resserrées : l’eau à Alexandrie au Musée de Tessé ou les débuts de l’égyptologie scientifique avec Émile Guimet au Musée des beaux-arts de Lyon.

Au Metropolitan, l’exposition est articulée de deux façons. Les cinq galeries suivent une structure largement chronologique, mais les salles sont organisées autour des thèmes spécifiques : la figure humaine, l’image divine, les premiers rois... C’est l’occasion de dévoiler, par exemple, les nouvelles interprétations sur l’utilisation des statuettes, des figurines et des palettes cérémonielles. La dernière galerie, consacrée aux « Premiers rois », fait le point sur les premiers dirigeants du pays et sur l’émergence d’un pouvoir central, très hiérarchisé et placé sous le signe du divin. Ces conceptions, présentes dès l’époque prédynastique, se développeront tout au long de l’histoire pharaonique.

Le Musée Jacquemart-André a, quant à lui, choisi de se concentrer sur les dynasties du dernier millénaire et sur l’époque ptolémaïque sous le commissariat général d’Olivier Perdu. Loin de l’image décadente qui persiste dans la pensée collective, les pièces qui y sont rassemblées dans une scénographie intime et sobre montrent combien l’art égyptien garde toute sa force. La présence de la Tête verte de Berlin, véritable chef-d’œuvre de l’époque ptolémaïque, vaut à elle seule la visite de l’exposition. Les traits réalistes de ce visage en grauwacke, cette pierre au poli incroyable, sont saisissants. Comme Olivier Perdu le souligne : « Rarement les sculpteurs égyptiens ont su traduire avec autant d’application et de perfection les traits du vieillissement. »

Là encore, peu de pharaons sont présents, l’accent étant mis sur la statuaire privée. Celle-ci était d’ailleurs devenue un élément indispensable pour tous les fonctionnaires aisés, et ce dès la fin du Nouvel Empire. Une représentation en ronde-bosse installée dans le temple de la divinité adorée permettait à son propriétaire de s’assurer une survivance dans l’au-delà et de bénéficier de toutes les offrandes faites au dieu. Retrouvées en grand nombre, ces statues retracent aussi l’évolution des styles sur un millénaire, des courants archaïsants de la fin de la période libyenne au courant réaliste de l’époque ptolémaïque, en passant par les figures idéalisées dont un ensemble de têtes dites egg-heads, dont l’uniformité de la représentation est frappante.

L’approche thématique à partir de fonds propres
Des expositions aux ambitions plus modestes, mais dont le propos ne glisse pas dans la facilité, sont également programmées ce printemps. Axés sur leurs collections propres, deux musées de région, au Mans et à Lyon, mettent en lumière des recherches récentes ou un personnage clé de l’histoire de l’égyptologie.

Le Musée de Tessé (Le Mans) présente les avancées de recherche du Centre d’études alexandrines, dirigé par le très médiatique Jean-Yves Empereur, non pas cette fois sur le phare d’Alexandrie mais sur un aspect fondamental pour la ville et la région : comment la cité a construit son réseau d’alimentation et de stockage de l’eau.

Le Musée des beaux-arts de Lyon, quant à lui, honore la figure d’Émile Guimet dans une quasi-initiation à l’histoire de l’histoire de l’art. Ainsi, l’exposition rend-elle hommage à l’un de ses personnages tutélaires, à travers la présentation de sa collection d’antiquités égyptiennes. C’est là l’occasion de plonger dans les premiers temps de l’égyptologie scientifique. Contemporain d’Auguste Mariette, fondateur du Musée de Boulacq – l’actuel Musée égyptien du Caire –, l’industriel lyonnais s’est passionné pour la matière au point de financer les fouilles de la cité d’Antinoë, non plus pour enrichir sa collection, mais pour comprendre cette civilisation.

Même les « blockbusters » s’intéressent au scientifique
Les programmations plus grand public s’essaient elles aussi au jeu de l’approche scientifique… Même si parcours et discours restent toujours axés sur le spectaculaire. Les mauvaises habitudes ont la vie dure ! Le Musée national d’Édimbourg, en Écosse, ne révolutionne pas le monde de l’égyptologie en proposant son exposition modestement intitulée : « Fascinantes momies ». Celle-ci, montée en partenariat avec le Musée de la civilisation de Québec et le Musée national des antiquités de Leyde aux Pays-Bas, repose principalement sur les collections de ce dernier. Si le parcours très classique ne nous apprend rien de nouveau sur l’art de l’embaumement des anciens Égyptiens, ni sur leurs croyances post mortem, une salle est tout de même consacrée aux nouvelles technologies.

Comme le souligne Maureen Barrie, chargée des expositions au musée, « l’arrivée des scanners et les méthodes de réplication de l’ADN ont permis de mettre au point des méthodes non invasives et non destructives pour dresser des profils anthropologiques et définir des liens de parenté entre des personnages trouvés dans les mêmes sépultures ». C’est ainsi que le musée a pu identifier une plaque en or sous les bandelettes de la momie conservée en ses murs.

Le grand événement « Toutankhamon, son tombeau et ses trésors », qui commence en ce mois de mai 2012 au parc des Expositions de la porte de Versailles à Paris, sous son titre racoleur, essaie tout de même d’apporter une plus-value scientifique à une énième reconstitution de la tombe du pharaon-star. L’intérêt reste quand même relativement limité. Le mythe Toutankhamon est trop prégnant pour éclipser sans souci le fait que la reconstitution a été supervisée par des égyptologues. L’on reste dubitatif quant à la pertinence du projet, lorgnant plus vers le sensationnel que vers la pédagogie.

L’aspect spectaculaire de l’Égypte ancienne prévaut encore chez certains, mais les lignes commencent à bouger, pour le plus grand plaisirs des égyptomaniaques.

Repères

Époque prédynastique
4500 – 3300 av. J.-C.

Époque thinite
3100 – 2647 av. J.-C.

Ancien Empire
2647 – 2140 av. J.-C.

1re période intermédiaire
2140 – 2040 av. J.-C.

Moyen Empire
2040 – 1785 av. J.-C.

2e période intermédiaire
1785 – 1540 av. J.-C.

Nouvel Empire
1540 – 1069 av. J.-C.

3e période intermédiaire
1069 – 664 av. J.-C.

Basse Époque
664 – 332 av. J.-C.

Époque gréco-romaine
332 av. J.-C. – 395 ap. J.-C.

Le Mans rêve d’Alexandrie

Le Musée de Tessé au Mans invite à découvrir un aspect moins attendu de l’Égypte antique : la question de l’eau à Alexandrie dès sa fondation. Alexandrie est une cité construite ex nihilo en 331 av. J.-C. par Alexandre le Grand, sur un site sans source d’eau potable, à 30 km du Nil. Les urbanistes ont alors développé tout un système d’abduction et de stockage de cette ressource indispensable au développement. Les recherches du Centre d’études alexandrines ces vingt dernières années ont porté sur les citernes de la ville. Six étaient détectées par les chercheurs en 1992, dont une seule déjà bien répertoriée. Ce chiffre est loin des quatre cents mentionnées par les savants de l’expédition d’Égypte ! Une scénographie claire, avec pourtant quelques maladresses d’agencement – pourquoi peindre grossièrement sur le mur de la deuxième salle de l’exposition une fresque d’inspiration égyptienne ? –, met en scène objets d’époque, mais surtout maquettes et films de la mission archéologique qui nous font percevoir toute l’intelligence déployée alors par les ingénieurs pour régler la question cruciale et toujours d’actualité de l’alimentation en eau d’une mégapole.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : L'Egypte dépoussiérée de ses pharaons

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