Léonard de Vinci - L’impossible restauration ?

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 22 mars 2012 - 685 mots

En vue de son exposition et de son prochain déplacement pour l’inauguration du Louvre-Lens, la Sainte Anne du Louvre vient de faire l’objet d’un nettoyage qui n’a pas manqué de déclencher une polémique, et de reformuler la question : comment aborder la restauration d’un chef-d’œuvre ?

Un art inimitable. Si Léonard demeure un peintre au talent inclassable, c’est aussi parce qu’il a été un technicien hors pair. Ses procédés ont contribué à la qualité picturale de ses œuvres tout en accentuant leur part de mystère. Parmi ces prouesses techniques, son célèbre sfumato a renforcé ce halo en procurant un effet de dilution aux contours des figures. Baignant ainsi les compositions dans des effets atmosphériques que de nombreux artistes auront tenté de reproduire sans succès. Dès lors, face à cette complexité, toute restauration n’est-elle pas problématique ?

L’irréversibilité de la restauration
L’histoire a déjà tristement donné raison aux partisans de la prudence. En 1999, lors de son achèvement après plus de vingt années de travail, la restauration de La Cène du réfectoire de Santa Maria delle Grazie de Milan avait provoqué un tollé pour sa radicalité. L’œuvre avait certes été très altérée par la technique utilisée par le peintre – une peinture a secco sur un enduit à fresque. Las ! La restauration a malgré tout relégué l’intervention de la main de Léonard au rang de simple vestige archéologique. Les dégâts sont aujourd’hui irréversibles.
Faut-il prendre des risques similaires avec d’autres chefs-d’œuvre du maître ? En 2001, le Musée des Offices de Florence a finalement renoncé à la restauration de L’Adoration des Mages. Trop d’incertitudes pesaient sur les conséquences de l’intervention. Et en 2010, le résultat du nettoyage subi par la Vierge aux rochers de la National Gallery, à Londres, a laissé plus d’un observateur sceptique.
La question se pose donc légitimement pour la Sainte Anne du Louvre. D’autant que le sujet a déjà fait débat. En 1994, une première restauration a ainsi été interrompue à la demande du ministère de la Culture. Elle avait alors été jugée trop risquée. En cause : les solvants chimiques utilisés pour dévernir l’œuvre. Ceux-ci auraient pu fragiliser ou altérer le sfumato, technique dont le secret a été percé il y a quelques années par un spécialiste, Jacques Franck : une huile très diluée appliquée en voiles successifs.
Alors que l’affaire semblait entendue, le sujet a été remis sur la table en 2010. Pour soigner quels maux ? Des microsoulèvements de la couche picturale, chose fréquente, notamment sur des vernis plus récents, une surépaisseur des vernis et la présence de repeints liée à des restaurations anciennes qui auraient viré. Avec un risque présumé d’atteinte à la lisibilité de l’œuvre.
Si le comité semblait avoir trouvé un accord sur la nécessité de retirer les taches et de désépaissir certains vernis, la question des limites de l’intervention s’est logiquement posée. Et si retirer des vernis sur le visage de sainte Anne était une menace ? Car les solvants employés pourraient présenter un risque de migration jusque dans la couche picturale. Révélées par Le Journal des Arts [qui appartient au même groupe que L’œil], ces incertitudes ont suscité une polémique salutaire. Qui pose aussi la question de ce qu’il faudra faire par la suite. Notamment quand il s’agira de nettoyer La Joconde.

Autour de l'exposition

Informations pratiques. « L’ultime chef-d’œuvre de Léonard de Vinci, la Sainte Anne », du 29 mars au 25 juin 2012. Musée du Louvre. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9 h à 18 h. Nocturnes le mercredi et le jeudi jusqu’à 21h 45. Tarif : 11 €. www.louvre.fr

La Sainte Anne sur Arte. Le dimanche 8 avril à 15 h 45, Arte diffusera le documentaire de Stan Neumann sur la restauration de la Sainte Anne suivie pas à pas depuis 2008. Léonard de Vinci, la restauration du siècle dévoile les débats internes de la communauté scientifique, notamment sur la question des vernis ainsi que les gestes techniques réalisés dans le laboratoire du C2RMF. Le documentaire sera également disponible en DVD dès le 26 mars au Musée du Louvre. Léonard de Vinci, la restauration du siècle, Arte Éditions, 52 min., 15 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Léonard de Vinci - L’impossible restauration ?

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