Présidentielles 2012

Spécial élections : le bilan du quinquennat

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 21 mars 2012 - 1507 mots

En l’absence de débat culturel au moment de la présidentielle de 2012, L’œil revient sur cinq années d’une politique marquée, notamment, par un déplacement du pouvoir du ministère de tutelle vers l’Élysée…

2007
Après une campagne électorale qui, dans son ensemble, aura largement ignoré la culture, Christine Albanel, ancienne plume de Jacques Chirac et présidente du domaine de Versailles, est nommée en mai ministre de la Culture et de la Communication du premier gouvernement de François Fillon. Dès août, le président de la République lui adresse une lettre de mission lui dictant sa ligne de conduite. Il s’agira notamment de réformer le système d’octroi des subventions, d’expérimenter l’aliénation des collections publiques, de créer un musée d’histoire civile et militaire et d’instaurer une politique de gratuité des musées nationaux. Le monde de la culture comprend que la ministre ne disposera que de très minces marges de manœuvre.

2008
Dès janvier, le ministère doit se mettre au pas de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et entreprendre une vaste réforme de ses structures administratives, suscitant une très forte mobilisation syndicale. Christine Albanel parvient à déminer un premier sujet en réaffirmant, grâce au rapport produit par Jacques Rigaud, l’inaliénabilité des collections publiques. Le contexte reste toutefois délétère et les milieux culturels sont en ébullition. La ministre doit aussi faire face à l’incontrôlable conseiller élyséen Georges-Marc Benhamou – jadis proche de François Mitterrand –, dont la volonté de se faire nommer à la Villa Médicis suscite un tollé.

2009
En cette année du 50e anniversaire du ministère de la Culture, célébrés discrètement, le président de la République porte un coup au champ d’action de la Rue de Valois. Lors de ses vœux au monde de la culture, présentés au Carré d’art de Nîmes (Nicolas Sarkozy est le premier président de la Ve République à instaurer ce rendez-vous), il annonce la constitution du Conseil de la création artistique, un « ministère bis » piloté par Marin Karmitz. Le président confirme à cette occasion d’autres décisions, comme la création d’un musée de l’histoire de France, qui provoquera une levée de boucliers des historiens. Déstabilisée, la ministre peine à arbitrer ses dossiers alors que le vote de la loi « création et Internet », qui deviendra « Hadopi », cristallise un clivage.

En juillet, à l’occasion d’un remaniement gouvernemental, Christine Albanel n’est pas reconduite dans ses fonctions. Elle cède la place à Frédéric Mitterrand, directeur de la Villa Médicis. Après une très courte lune de miel avec les acteurs culturels, l’ancien animateur de télévision essuie une violente polémique autour d’un ouvrage paru en 2005, La Mauvaise Vie. En plein débat budgétaire, Frédéric Mitterrand perd son crédit. Les nuages s’accumulent : grève dure menée contre la RGPP au Centre Pompidou, assaut de Google pour numériser les collections publiques, grogne des collectivités territoriales....

2010
Entouré d’un cabinet en proie à des rivalités intestines, Frédéric Mitterrand enchaîne les maladresses. Son premier sujet de prédilection, la « Culture pour chacun », révélé par la diffusion d’une note confidentielle, crispe les syndicats du secteur. Les dossiers à traiter sont pourtant nombreux : numérisation du patrimoine, qui sera finalement soutenue par le grand emprunt, choix d’un site pour l’installation du musée devenu Maison de l’histoire de France – qui mettra à feu les Archives nationales –, polémique autour du projet de cession de l’hôtel de la Marine, assauts répétés des parlementaires contre l’intervention des architectes des Bâtiments de France, relance du projet contesté de la Philharmonie de Paris.

En septembre, le ministre présente le Plan musées en région qui mobilise, sur trois ans, près de soixante-dix millions d’euros pour soutenir soixante-dix-neuf projets muséographiques
ou architecturaux en France. En novembre, Frédéric Mitterrand sauve sa tête dans un gouvernement une nouvelle fois remanié. Mais les grandes décisions semblent toujours échapper à la Rue de Valois.

2011
L’année sera celle du lancement de quelques initiatives estampillées Mitterrand : création du Festival de l’histoire de l’art, mesures en faveur des arts plastiques, nomination de Maryvonne de Saint-Pulgent à la tête de la Maison de l’histoire de France. Durant l’été, la gauche, qui entre en campagne lors de ses primaires, repart à l’offensive sur le sujet culturel en proposant, par la voix de Martine Aubry, un doublement du budget du ministère en cas de victoire en 2012.

Le ministre s’associe volontiers au succès d’un projet plus ancien : le lancement du Centre Pompidou mobile. Comme le souligne un rapport cinglant de la Cour des comptes publié en avril, les grands musées parisiens vivent désormais en marge de la Rue de Valois. Et la nomination de leurs présidents demeure étroitement contrôlée par l’Élysée. Catherine Pégard, ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy, passe ainsi de l’ombre à la lumière du domaine de Versailles, où elle est nommée comme « un cadeau », admet-elle. Dissolution du Conseil de la création artistique.

2012
Continuant à arpenter l’Hexagone, le ministre met sur les rails un projet qui lui tient à cœur : la tour Médicis, en banlieue, destinée à être aménagée dans une tour désaffectée de Clichy-Montfermeil. En avril, seuls deux grands chantiers sont achevés : le Palais de Tokyo – que le président devrait inaugurer le 12 avril – et les Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. Pour la première fois depuis le début du quinquennat, le budget du ministère de la Culture, qui avait été jusqu’à présent « sanctuarisé » (terme employé par le ministre), alors qu’à la même période d’autres pays européens comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas avaient coupé sévèrement dans leurs subventions, n’est pas préservé du gel de la réserve de précaution. Nicolas Sarkozy semble avoir compris que la greffe avec les milieux culturels n’a pas pris.

À lire avant vote

Si le thème de la culture est le grand absent des meetings et des émissions politiques, un débat s’est installé avec force propositions à la marge de la présidentielle, par livres interposés.

Frédéric Mitterrand
Le Désir et la Chance, Robert Laffont, 357 p., 21 euros.

Le ministre sortant raconte par le menu ses années passées Rue de Valois. Dénué d’une vision globale sur la politique culturelle, il égraine son récit dans un style peu avare de superlatifs. Le but est clair : justifier une action très décousue et très critiquée, mais aussi remercier ceux qui l’ont épaulé dans cette tâche. Pour laquelle celui qui se rêve déjà en patron du Festival de Cannes était manifestement peu préparé.

Christophe Girard
Le Petit Livre rouge de la culture, propositions pour une République culturelle, Flammarion, 107 p., 12 euros.

Adjoint au maire de Paris depuis 2001 en charge de la Culture, par ailleurs haut responsable du groupe de luxe LVMH, Christophe Girard aurait voulu être le ministre de la Culture d’ouverture de Nicolas Sarkozy. Tel n’a pas été le cas. Alors l’inventeur de la « Nuit blanche » tente de replacer le curseur à gauche. Son Petit Livre rouge plaide pour une politique culturelle « audacieuse et réformatrice », articulée autour de trois axes : le numérique, l’éducation artistique et l’art dans l’espace public. Un peu court.

Yves Marek, Claude Mollard
Malraux, Lang... et après ? Débats sur la culture, éd. Aréa/Descartes et Cie, 239 p., 20 euros.
 
Le plus académique des livres de cette fournée préélectorale prend la forme d’une confrontation de points de vue entre Claude Mollard, l’ancien délégué aux arts plastiques de Jack Lang, et Yves Marek, ancien conseiller de Jacques Toubon et du président du Sénat Christian Poncelet. Tous deux livrent leur diagnostic sur la politique culturelle et proposent un plan d’action pour l’avenir, tentant ainsi de clarifier la ligne de clivage droite-gauche.

Olivier Poivre d’Arvor
Culture. État d’urgence, Tchou, 146 p., 10 euros.

L’actuel directeur de France Culture et ancien patron de l’Action culturelle française à l’étranger n’a jamais caché ses ambitions pour la Rue de Valois. Rédacteur du programme culturel de Martine Aubry, il s’est aujourd’hui rallié à la cause de François Hollande, à qui il suggère de lancer un véritable « New Deal culturel à la française ». Comment ? Sans prescrire de remède précis, mais en appelant à replacer la culture au centre du débat politique.

Frédéric Martel
J’aime pas le sarkozysme culturel, Flammarion, 232 p., 14 euros.

C’est un bilan d’un tout autre genre que celui du ministre que livre là le journaliste et producteur de France Culture Frédéric Martel, ancré à gauche. Sur le ton très personnel du « J’aime » ou « J’aime pas », Martel tient une chronique très précise et très bien informée du quinquennat culturel. Il en profite pour glisser, çà et là, maintes révélations glanées en coulisses, qui ont nourri une exaspération non dissimulée à l’égard de l’action culturelle de Nicolas Sarkozy.

Jean-Gabriel Carasso
Quand je serai ministre de la Culture... éd. de l’Attribut, 172 p., 14,50 euros.
 
S’il en est un que l’on ne peut pas suspecter d’être candidat pour le job, c’est bien lui ! Et pourtant, sa feuille de route est déjà prête. Sur le ton d’une fiction réjouissante, le metteur en scène – par ailleurs spécialiste de politique culturelle – se glisse dans la peau d’un ministre de la Culture fraîchement nommé. Il tient là le récit de son action, par le biais de documents, allant des interventions en Conseil des ministres aux notes confidentielles, en passant par les conférences de presse et la lettre – logique ! – de démission du gouvernement. Cela avec un sens de l’autodérision jubilatoire, qui n’empêche pas d’avancer de réelles idées pour le ministère de la Culture.

À suivre

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Spécial élections : le bilan du quinquennat

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