La danse, un moteur d’avant-gardes

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 25 janvier 2012 - 509 mots

Expressionnismes, futurisme, constructivisme… les avant-gardes du début du xxe”¯siècle ont puisé dans la danse les ingrédients de leur modernité.
Au-delà de leurs différentes formes d’expression, plasticiens et chorégraphes se sont régulièrement croisés dans des projets communs.

La volonté de rendre compte de l’idée de mouvement dans l’art remonte aux temps les plus anciens de l’Antiquité, et les artistes sont nombreux qui, au fil du temps, se sont appliqués à en trouver chaque fois de nouvelles formulations. À la fin du XIXe siècle, avec l’avènement du progrès et des techniques, l’invention du cinématographe devait entraîner le monde des arts plastiques à prendre en compte de façon encore plus concrète cette idée de mouvement. Revendiquant le décloisonnement des disciplines, les avant-gardes des années 1910-1920 allaient trouver dans un dialogue entre arts plastiques et danse l’occasion de toutes sortes de créations inédites.

Corps en mouvement et formes abstraites
Si l’esthétique expressionniste qui domine le tournant du XXe siècle s’accompagne d’une appréhension de la danse comme expression de soi, celle-ci devient le sujet de nombre de peintures comme en témoigne La Joie de vivre (1905) de Matisse, manifeste absolu du fauvisme. La dimension dionysiaque de la danse que Nietzsche place en contrepoint du critère apollinien d’un art plus classique et plus harmonieux trouve chez les artistes de Die Brücke des transcriptions picturales qui vont parfois jusqu’à l’excès de la transe, telles les Danseuses aux bougies de Nolde (1912). Plus tardivement, Kirchner entreprend de croquer Mary Wigman pendant qu’elle répète sa nouvelle chorégraphie de la Danse de la Mort ; le tableau qui en résulte en dit long des échanges entre les artistes et leurs disciplines respectives.

Auteur de différents manifestes, Marinetti n’a pas manqué d’en consacrer un à la danse. Il y recommande de « dépasser les possibilités musculaires et [de] tendre dans la danse vers cet idéal de corps multiplié par le moteur dont nous rêvons depuis si longtemps ». Gino Severini mais surtout Fortunato Depero s’y appliqueront sans toutefois réussir une vraie révolution. Celle-ci viendra davantage des artistes des avant-gardes russes et de ceux du Bauhaus. Si Tatline et Rodtchenko réalisent toutes sortes de décors et de costumes qui nourrissent l’art de la danse d’une singulière dimension constructiviste, Oskar Schlemmer le transforme radicalement en l’instruisant de tout un vocabulaire de formes abstraites, travaillant la relation du corps avec l’espace et simplifiant à l’extrême costumes et gestes. Son Ballet triadique (1922) emprunte au monde biomécanique ce que les dessins de ligne de Kandinsky déduisent de la gestique de Charlotte Rudolph : l’expression d’une modernité qui ne jure plus que par le géométrisme.

Des rapports de la danse et des avant-gardes, on pourrait tirer bien d’autres fils encore, ne serait-ce que celui qui a favorisé le principe de sérialité en théorisant les notions de dynamique, de rythme et de répétition. Ou celui qui les a conduits à prendre la mesure de la corrélation entre formes et mouvements humains, ce que Rudolf von Laban désigne du nom de « formes-traces ». À ce propos, les Arcs et segments : lignes (1918-1919) de Vaslav Nijinski le disputent à toutes les investigations abstraites les plus pionnières. 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°643 du 1 février 2012, avec le titre suivant : La danse, un moteur d’avant-gardes

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