À Paris

Art & danse : histoire d’un corps à corps créatif

Jusqu'au 2 avril 2012

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 25 janvier 2012 - 809 mots

C’est sans doute l’exposition la plus ambitieuse que le Centre Pompidou
ait osé abriter depuis bien longtemps. De la danse expressionniste à la danse
post-moderne, comment l’art des corps en mouvement a imprimé les arts visuels du XXe”¯siècle. Et vice versa.

Enfin ! Rarement une exposition aura été autant attendue en France. Au programme de « Danser sa vie », renouer avec la grande tradition des traversées pluridisciplinaires de Beaubourg et combler un manque déconcertant : l’interrelation active entre danse moderne/contemporaine et les arts visuels au XXe siècle, de la sidérante révolution de L’Après-Midi d’un faune (1912) follement sexualisée par Nijinski au jouissif et culte Show Must Go On (2001) du héraut de la danse conceptuelle Jérôme Bel. Quid de Nolde ou de Kirchner sans Mary Wigman ? De Nam June Paik sans Cunningham ? De la performance sans Anna Halprin ? Si démonstration il y a, elle est sans doute d’abord dans l’influence décisive de l’art du corps en mouvement – dans sa version la plus pulsionnelle – sur les arts visuels en général et les avant-gardes historiques en particulier.

À Beaubourg, plein les yeux et plein les jambes
Un corps dansant qui paradoxalement fera aiguillon vers l’abstraction. Plein les yeux, plein les jambes, pas de doute, les 2 000 m2 et quatre cent cinquante œuvres, documents, vidéos, peintures, systèmes de notation, dessins et performances exposés déblaient un domaine jusqu’ici confiné dans ses retranchements de territoires. Un domaine dont le grand public n’avait pas encore su ou pu s’approprier l’histoire. Pas de doute non plus quant au travail de titan fourni par les deux commissaires (Emma Lavigne et Christine Macel). Les chapitres consacrés aux avant-gardes historiques – sublime salle dominée par le Ballet triadique (1922) d’Oskar Schlemmer pour le Bauhaus, impeccable jeu d’interdépendance programmé par Nolde, Kirchner et les postures tragico-dionysiaques de Mary Wigman, séquence percutante autour de l’entrée en nature de la « danse libre » des pionniers de la modernité – réussissent l’exploit d’exposer sans forcer l’art du mouvement. Le tout servi par une scénographie qui maintient – presque jusqu’au bout – une tension d’une belle fluidité dans la rythmique du parcours : de la séquence moderne à nef centrale jusqu’à l’éclatement de la scène contemporaine soutenue par la redéfinition de Cunningham.

Oublis et arbitraire dans un parcours bien sage
Si réserves il y a, c’est alors, comme souvent à Beaubourg, au rayon contemporain. C’est qu’à l’intérieur de chacune des trois parties (Danse et expression de soi, Danse et abstraction, Danse et performance), les commissaires ont opté pour un double tramage : un découpage thématique confortablement enveloppé dans une ligne chronologique – oubliant au passage les années 1980 – et des inserts contemporains côté danse comme arts plastiques pour huiler l’ensemble du parcours. Des tentatives parfois arbitraires qui, au mieux, pèchent par faiblesse – que dire de la très académique mise en chorégraphie par Olafur Eliasson de son atelier berlinois pour une paresseuse redite d’un ballet mécanique ? –, au pire par littéralité : gâchis de la séquence au ras de la forme qui met face à face un magique Jackson Pollock dansant autour de sa toile et la vidéo Performance Painting # 2 (2005) de Nicolas Floc’h, interprétée par un Rachid Ouramdane aux prises avec une pluie/dripping de peinture. Idem avec l’association littérale des anthropométries d’Yves Klein et du faible naked solo à l’huile d’olive fantasmé par Jan Fabre, alors même que les performances de Klein auraient gagné à rejoindre le camp précédent de l’abstraction... Un travers relatif que redouble le curieux rapport de hiérarchie visuelle engagé entre contemporain et moderne.

À chaque sous-chapitre historique, la production vidéo contemporaine opte pour une présentation spectacularisée qui vient comme recouvrir les prodigieuses pépites historiques exposées. Isadora Duncan (1877-1927), Mary Wigman (1886-1973) et surtout Valeska Gert (1892-1978) auraient mérité une présentation à la hauteur de leur impact dans l’histoire. D’autant que l’insertion systématique d’un contrepoint contemporain finit par laisser croire qu’il n’est là que pour commenter ou regarder une histoire héroïque.

Ultime question : tant qu’à opter pour un attelage de commissaires, une telle traversée pluridisciplinaire n’aurait-elle pas mérité des compétences spécifiques côté danse ? Invoquer une simple histoire de territoires ne suffit pas à justifier un tel entre-soi. Faudrait-il encore y ajouter la crispation « de certains chorégraphes qui souhaitent garder la mainmise sur leur histoire dont ils se veulent les seuls commissaires », comme le suggère le critique de danse Laurent Goumarre dans Art Press, expliquant peut-être l’absence béante des chorégraphes Boris Charmatz, Alain Buffard ou Xavier Le Roy ? À moins de suivre la démonstration aussi nécessaire que jouissive de l’exposition, rappelant que cette histoire-là s’est écrite sur deux jambes : expressionnisme et modern dance. Ou pour faire court : Allemagne au début du XXe siècle et États-Unis après-guerre.

Spectacle

Le Projet Rodin
Du 31 janvier au 10 février 2012, le chorégraphe Russell Maliphant présente sa nouvelle création, Le Projet Rodin, au Théâtre de Chaillot. Sur scène, six danseurs issus du Hip-Hop s’inspirent des aquarelles et des sculptures d’Auguste Rodin pour transcrire en trois dimensions son sens du mouvement et l’énergie de ses figures.

Autour de l'exposition

Informations pratiques. « Danser sa vie » jusqu’au 2 avril 2012. Centre Georges Pompidou. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 23 h. Tarifs : 12 et 9 e – 10 et 8 e selon périodes. www.centrepompidou.fr 

Danse en ligne. Avec la volonté de conserver un art en mouvement, le Musée de la danse de Rennes est un parfait paradoxe. En 2009, dix personnalités, artistes mais aussi critiques d’art et architectes sont invités à réfléchir sur ce que pourrait être un musée de la danse. Le résultat s’intitule « expo zéro » et constitue une réflexion générale autour de la danse mise en exposition. Il se concrétise par un parcours vidéo mis en ligne sur le site du musée dans lequel le « visiteur » navigue à son gré. http://expozero.museedeladanse.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°643 du 1 février 2012, avec le titre suivant : Art & danse : histoire d’un corps à corps créatif

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