Histoire

Nef du Grand Palais - Paris

Plans-reliefs : une histoire de France en 3D

Du 18 janvier au 17 février 2012

Par Vincent Noce · L'ŒIL

Le 20 décembre 2011 - 1321 mots

FRANCE

Ancêtres des cartes d’état-major, les plans-reliefs, apparus au XVIe siècle, ont rempli des fonctions tant militaires que symboliques. À Paris, le Grand Palais les réunit pour une promenade à travers l’Histoire.

C'est de l’histoire, de la géographie bien sûr, des formes aussi et des nuances de couleurs, dans les tons ocre, ce sont des objets et des témoins. L’exposition au Grand Palais des maquettes de villes stratégiques, appelées les plans-reliefs, ne renie pas le spectaculaire. Elle est, pour Jean-Paul Cluzel, présidant aux destinées du lieu, une opportunité supplémentaire d’insuffler de la vie dans cette coque vide. Et pour Jean-François Hébert, qui a mis les langes à la Maison de l’histoire de France, l’occasion de sa première sortie. Occupant tous les dégagements sous la verrière, la scénographe Nathalie Crinière a été invitée à utiliser toutes sortes de procédés pour faciliter la vision des détails. Les tarifs sont modiques (de la gratuité à cinq euros selon les âges) ; et les enfants, les bienvenus.

Louis XIV, grand roi bâtisseur de maquettes
Ces maquettes sont indissociables de l’évolution de l’artillerie. Le boulet métallique, qui s’est imposé au XVe siècle, a modifié les données de la guerre de siège. La muraille médiévale dut céder la place à un défilement d’enceintes bastionnées, capables de résister plus longtemps au pilonnage. Figurant les dénivelés, le plan en trois dimensions facilite la compréhension du terrain et des défauts de ces systèmes défensifs. Le premier connu, monté par des chevaliers français en 1521, permit à Rhodes de résister à l’assaut turc, sans empêcher le résultat malheureux que l’on sait. La Bavière a inventorié ses places de 1568 à 1574, et le résultat est encore visible au musée du Land à Munich. Venise a suivi.

En France, l’armée fabriquait des maquettes dès Charles IX. En 1663, l’ingénieur Alain Manesson-Mallet offrit à Louis XIV celle de Pignerol, dans le Piémont. C’est le ministre de la Guerre, le marquis de Louvois, qui a véritablement lancé le chantier des plans en relief aux dimensions dignes du Grand Louis, et de son ambition territoriale. Dunkerque fut la première cité mise en forme en 1668, le fort d’Ath et Lille lui succédèrent. En trente ans, selon un inventaire conduit par Vauban, cent un lieux étaient représentés, certains, comme Dunkerque, plusieurs fois. La réduction était d’un pied pour cent toises, soit une échelle d’environ 1/600. Par la suite, Carnot a aussi fait réaliser des modèles d’études pour les écoles militaires au 1/200.

Chaque conquête donnait lieu à de nouveaux assemblages, d’où cette prédominance septentrionale dans les premières années suite à la guerre des Flandres. Les Pyrénées et la Franche-Comté ont suivi, la côte atlantique, réorganisée par Vauban, faisant son apparition au début du XVIIIe siècle. Les plans-reliefs gagnaient en qualité et en précision, comme en témoigne la représentation du Mont-Saint-Michel, montrant les stalles et l’autel de l’abbaye aujourd’hui disparus.

Ces maquettes n’étaient pas gardées comme des secrets militaires. Tout au contraire, très vite, elles ont été exposées, à Fontainebleau, puis à Versailles et à Saint-Germain-en-Laye. Dès 1700, occupant la galerie dite « du Bord-de-l’Eau », qui reliait le Louvre aux Tuileries, elles étaient montrées aux hôtes de marque et aux ambassadeurs. Pour bien souligner le propos, la forteresse de Montmélian était représentée en partie ruinée par l’assaut des troupes françaises. Marquant ainsi l’emprise du royaume, elles ajoutaient à la fonction militaire une valeur éminemment symbolique, finissant par former une véritable galerie des portraits de la conquête.

Certains plans de villes en partie disparues
L’exposition du Grand Palais est assez disloquée : concentrée sur les franges nord et est, elle complète les façades atlantique et pyrénéenne visibles aux Invalides [lire encadré]. Elle se lit comme un récit des frontières, notion mouvante qui échappe à la téléologie. La frontière est un art, plus qu’une science, qui progresse, recule, se consolide, dans le chaos des batailles et le hasard des traités.

Napoléon a encore commandé des plans, de plus en plus vastes, pour s’adapter à la profondeur des tirs. Brest et Cherbourg, clous de l’exposition, atteignent 130 et 160 m2. Le dernier a été assemblé en 1873. La précision et la portée de l’artillerie, sans compter l’humiliation subie par la France deux ans plus tôt, ont alors rendu l’exercice obsolète. Il a fallu passer aux cartes d’état-major, modelées en plâtre, au 1/20 000.

Deux cent soixante plans-reliefs ont été réalisés en tout, représentant cent cinquante sites. Seize des plus ambitieux ont été portés sous la nef. Il a été nécessaire de rappeler un restaurateur parti à la retraite. Ce sont des confections fragiles, faites en bois, les fenêtres sont en papier collé, la végétation est en soie teinte, l’eau est peinte en bleu.

Certains portent témoignage de grandes disparitions. Le château Trompette, de sinistre mémoire pour les Bordelais (car, depuis la guerre de Cent Ans, il était tourné dans la direction d’une cité bien connue pour son amour du commerce avec les Anglais et les Hollandais), a fini d’être détruit en 1818. Le Brest de l’Empire a été rasé par les bombardements américains de 1944. D’autres nous sont inconnues, comme Exilles, dans le Piémont, ou Berg-op-Zoom, tombée dans l’escarcelle néerlandaise. Avec un nom pareil, elle pouvait difficilement faire autrement. Même Montréal a eu droit à son plan, aujourd’hui disparu. Nous avons gardé Besançon et son horlogerie, mais perdu Luxembourg et ses banques. Occasion de méditer sur la valeur relative du temps et de l’euro, et sur ces lignes en pointillés qui nous séparent de l’autre.

Ouverte par une phrase forte de Frédéric Mitterrand, qui mériterait d’être inscrite au frontispice des manuels (« À travers ces maquettes, il s’agit bien de mettre en évidence la France en relief »), cette rétrospective se nimbe inévitablement d’une certaine nostalgie, les opérations de reconquête étant aujourd’hui plus difficilement envisageables.

Dans le grenier des Invalides, un Musée des plans-reliefs en quête de lumière

La collection nationale des plans-reliefs se niche sous les combles des Invalides. Non sans bris et malheurs : sur les deux cent soixante réalisés, seul un tiers (quatre-vingt-quatre) est encore en place. Une partie est exposée, les maquettes éclairées dans la pénombre, comme autant d’îles flottantes, dans une présentation qui rend bien compte du contexte. Les autres, dont les seize destinés au Grand Palais, sont normalement en caisses, sous une très belle charpente.

Le transfert au grenier à blé des Invalides a été décidé en 1774 par Louis XVI, incité par Soufflot et Gabriel qui voulaient accrocher la peinture au Louvre. Douze plans-reliefs ont été détruits dans le déplacement, et les ouvriers ont passé les vingt années qui suivirent à réparer les autres, permettant l’ouverture par la Convention d’une galerie publique. En 1815, les occupants prussiens en emportèrent dix-neuf à Berlin, dont Strasbourg, Lille et les villes lorraines. Un siècle plus tard, Guillaume II en rendit certains à Landau, Metz et Strasbourg, qui se trouvent toujours sur place. Lille n’a été rapatriée qu’en 1948. Les autres ont été à moitié détruits en 1945 dans le bombardement de l’arsenal de Berlin, avant d’être laissés à l’abandon pour disparaître.

Une difficile ouverture
Né statutairement en 1943, le musée a ouvert en 1952. En 1984, il a dû subir un nouvel assaut, Pierre Mauroy ayant obtenu de Jack Lang le déménagement à Lille de la collection, au nom de la décentralisation culturelle. Elle resta longtemps en caisses, jusqu’à un compromis qui cédait dix-neuf plans à Lille (le rappel sinistre du nombre de l’amputation prussienne a dû échapper à son maire), chiffre finalement ramené à seize. Ils sont aujourd’hui au Palais des beaux-arts de la ville, qui n’a jamais édifié le musée promis.

Il a fallu attendre 1997 pour voir rouvrir la galerie des Invalides, et encore, en plusieurs étapes. Elle vit toujours difficilement, dépendant de la Culture dans une place militaire. Un billet commun est proposé aux visiteurs des Invalides, sur lequel le Musée des plans-reliefs touche 1 %, c’est dire. Il a bien besoin des lumières que peut projeter sur lui le Grand Palais.

Autour de l'exposition

Informations pratiques. « La France en relief », du 18 janvier au 17 février 2012. Nef du Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. Ouvert tous les jours de 10 h à 20 h, jusqu’à 22 h le mercredi et le vendredi. Fermeture le mardi. Tarifs : 5 et 2,50 €. www.maison-histoire.fr

La Maison de l’histoire de France. L’exposition « La France en relief » sera suivie en 2013 de « La France, quelle histoire ! » qui s’articulera autour de six thèmes historiques ou géographiques. Ces deux événements sont la préfiguration de la future Maison de l’histoire de France dont le projet définitif sera remis en janvier 2012. Cette nouvelle institution ouvrira au cœur des hôtels de Soubise et de Rohan, actuelles Archives nationales. Son inauguration est prévue en 2015, après le déménagement d’une partie des archives à Pierrefitte-sur-Seine.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°642 du 1 janvier 2012, avec le titre suivant : Plans-reliefs : une histoire de France en 3D

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