Ventes aux enchères

À vendre : maison meublée avec collection d’art

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 17 novembre 2011 - 1075 mots

Le marché de l’immobilier de luxe est devenu un débouché important pour les maisons de ventes, les galeries et les décorateurs.

Appartements familiaux, pied-à-terre, hôtels particuliers, maisons d’architectes, villas en bord de mer, chalets… Les catalogues d’immobilier de prestige offrent à leurs clients fortunés une gamme variée de biens d’exception allant de 3 à 100 millions d’euros. Les descriptifs de ces belles adresses dressent l’inventaire des commodités disponibles, de la cuisine de marque à la piscine chauffée, en passant par la salle de projection privée, le spa, l’hélistation et, bien sûr, la vue imprenable… À ces standards de confort et de design, il semble qu’il faille désormais ajouter un autre critère de raffinement : la présence d’œuvres d’art.
 
De la décoration sur mesure
« Lorsque l’on fait visiter une résidence à des acheteurs potentiels, l’existence sur place d’une collection permet de raconter une histoire, de faire vivre les lieux, estime Sylvain Boichut, directeur commercial de John Taylor.  Ces derniers mois, j’ai eu l’occasion d’accompagner un client dans une propriété mise en vente à Saint-Jean-Cap-Ferrat, abritant des tableaux de Kandinski, Miró, Lichtenstein… : un véritable musée privé, dans un site somptueux. L’acheteur, lui-même collectionneur, s’est totalement projeté dans cet espace et, malgré le prix très élevé, il s’est immédiatement porté acquéreur. » A contrario, une demeure vidée des œuvres qui l’occupaient se vend moins bien si l’on en croit l’exemple de l’appartement de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, un duplex de 500 m2 dans le 7e arrondissement mis en vente 23 millions d’euros qui peine à trouver preneur.

À Londres, les agents immobiliers de résidences de très grand standing passent volontiers commande d’œuvres originales, de multiples ou, à défaut, de tableaux dans l’esprit de toiles de maîtres réalisées sur mesure par des compagnies spécialisées comme Quintessa. En France, on n’en est pas là, mais les passerelles se multiplient entre les  agences d’immobilier de luxe et les maisons de vente aux enchères, ou les galeries, afin de répondre aux attentes de la clientèle.
Celle-ci répond à un profil de plus en plus jeune et cosmopolite selon Charles-Marie Jottras, président du groupe Daniel Féau (agence partenaire de Christie’s), qui souligne : « Le marché du luxe est dominé par les étrangers : l’appartement de papa avec parquet, moulures et cheminée n’est plus le standard. Qu’ils soient russes, chinois ou brésiliens, il y a 90 % de chances que les propriétaires, soient branchés sur des appartements art contemporain. »

Le réseau d’immobilier Sotheby’s
Chez Barnes, où des vernissages sont régulièrement organisés dans les agences de Neuilly et de la rue Bonaparte, la programmation des expositions vient tout juste d’être confiée à la galerie W. « Ces événements artistiques offrent l’occasion de communiquer de façon élitiste et valorisante, et nous permettent de rester en contact avec notre clientèle d’acquéreurs », résume Richard Tzipine, directeur général. Artcurial et John Taylor ne se contentent pas, quant à eux, de concevoir des expositions dans des propriétés privées mises en vente. « Nous partageons non seulement des valeurs, mais également une clientèle commune, explique Francis Briest, commissaire-priseur et coprésident de la maison de vente. Il est donc intéressant de réfléchir à ce que nous pouvons faire ensemble. Il y a une demande en ce sens, les nouveaux collectionneurs achètent des œuvres pour vivre avec. Lorsqu’un monsieur de Chine s’offre une maison en France, il a envie d’un lieu qui soit “habité”. Dans ce cas, nous pouvons apporter notre expertise. »

« Aujourd’hui, les nouvelles fortunes souhaitent posséder ce qui manifeste visiblement leur succès et leur standing : de l’art, et de l’immobilier », résume Alexander Kraft, P.D.G. de Sotheby’s International Realty France. À sa création en 1976, le département immobilier de la maison de vente aux enchères devait lui permettre de négocier des successions grâce à un service d’estimation couplée des biens immobiliers et des œuvres d’art. Sotheby’s International Realty est à présent le plus gros réseau mondial d’immobilier de prestige : 550 agences dans quelque 45 pays. Et les synergies fonctionnent à plein entre les deux entités. Il peut arriver que Sotheby’s International Realty emprunte ponctuellement des tableaux avant leur passage aux enchères pour agrémenter des appartements à vendre.

« Nous avons une mission pédagogique à remplir auprès de la clientèle des nouveaux riches », se félicite Sylvain Boichut, tout en remarquant que « ce qui leur manque, c’est du temps : un couple vient d’acheter un appartement de 600 m2, avec sept chambres. Madame est enceinte, Monsieur est très occupé, et ils souhaitent recevoir leurs amis à Noël. Nous leur avons conseillé une décoratrice. Quand ils reviendront, l’appartement sera meublé et équipé, de la vaisselle au linge de lit. Au printemps, nous leur prendrons rendez-vous chez Artcurial pour qu’ils complètent la décoration. »

« Le pouvoir par l’art, ou quand le goût supplante la force »

Le billet d'Anne-Cécile Sanchez

Ces dix dernières années, marquées par deux importantes crises économiques mondiales, « les amateurs ont été de plus en plus nombreux à se ruer dans les salons et les salles de ventes », note le rapport Artprice sur le marché de l’art contemporain paru en octobre dernier. « Le bilan de cette décennie est donc particulièrement positif avec des prix en hausse de 50 % sur la période 2001-2011. » L’art, une valeur d’investissement alternative ou un nouveau signe extérieur de richesse ? « L’art et ses collectionneurs appartiennent désormais à cette époque de “distinction symbolique”?, comme la nomme Max Weber, où le statut social ne repose plus sur la puissance militaire ou physique et où ces éléments sont remplacés par la distinction, un raffinement et un goût que les tableaux stimulent », note l’historien et écrivain Rainer Metzger dans le catalogue de « Mémoires du futur, la collection Olbricht », une exposition magistrale présentée à La Maison rouge jusqu’au 15 janvier 2012. Livrée sous la forme de réflexions inspirées, sa visite guidée propose, à travers des correspondances littéraires et historiques, un éclairage passionnant sur le sens des images rassemblées par le grand amateur d’art allemand. Peut-on parler de transcendance à propos de la puissance symbolique de l’art ? Dans le cas de la collection Olbricht, qui réunit des œuvres provenant du XVIe siècle à nos jours, Rainer Metzger préfère évoquer une salutaire perspective ironique. Quant à l’époque dans laquelle elle s’inscrit, le pouvoir y importe plus que jamais concède-t-il. Mais désormais, « c’est plutôt sa culture que l’on montre avec ses tableaux ». Cela constitue sans doute un progrès.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : À vendre : maison meublée avec collection d’art

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque