Gyan Panchal du bon usage de la pauvreté

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 16 novembre 2011 - 790 mots

Exposé à Nîmes aux côtés de Karla Black, Katinka Bock, Abraham Cruzvillegas, Thea Djordjadze, Gabriel Kuri, Guillaume Leblon et Gedi Sibony, Gyan Panchal appréhende la sculpture par l’essence de ses matériaux. S’agit-il pour autant d’un art « pauvre » ?

Lorsqu’on demande à Gyan Panchal s’il se voit en héritier de l’Arte Povera, la réponse est précise : non. Pourtant, en en parlant, il se dégage des évidences : « La plupart des artistes rassemblés à Nîmes sont sculpteurs, mais nous sommes très différents. Cependant, on partage tous une même appréhension des œuvres qui sont davantage de l’ordre de la proposition que de l’affirmation, reposant sur un travail d’atelier, de variation autour de différents matériaux. Personnellement, la forme ne m’intéresse pas tant que ça. C’est ce que je vais pouvoir faire avec le matériau, mettre à jour son histoire, ses origines… C’est plus cette concentration qui ferait le lien avec Anselmo et d’autres artistes de l’Arte Povera. »

Loin de toute référence à la situation économique actuelle
En effet, si l’on regarde les œuvres de Giovanni Anselmo, notamment Sans titre (1968), soit la relation improbable d’une laitue fraîche qui maintient en équilibre deux parallélépipèdes de différents volumes de granit poli, Gyan Panchal se situe dans la sensibilité essen­tialiste. « En 2009, avec Neudo, j’assumais presque une sorte de reprise d’une pièce d’Anselmo de 1967 de la collection du Castello di Rivoli, alors que je ne fais quasiment jamais de relecture ou de référence immédiate. Du Plexiglas courbé par la tension en son milieu d’un filin d’acier dans la sculpture d’Anselmo (Sans titre, 1967), je suis passé à une feuille de PVC blanche, très électrostatique, très bon marché, tenue debout par un exercice de torsion grâce à une corde de sisal et une découpe dans le centre de la feuille de taille standard, libérant ainsi l’énergie de la tension dans l’œuvre d’Anselmo et soulignant la fragilité de l’ensemble. » L’œuvre de Panchal déployait une puissance paradoxale dans l’espace, impérieuse et précaire, se recouvrant petit à petit de poussière ; une œuvre qui sédimentait le temps de l’exposition. Étonnamment, cette œuvre n’est pas dans l’exposition « Pour un art pauvre » de Nîmes.

Gyan Panchal a choisi, comme ses compères Guillaume Leblon, Katinka Bock ou Gabriel Kuri, de produire de nouvelles pièces. Carton-mousse, plaques d’isolation, l’artiste poursuit son exploration des matériaux pauvres et sans qualité apparente qu’il affectionne : « Je réagis à des matériaux pauvres, dédaignés comme des sacs poubelles, des matériaux isolants ; ils sont en bout de la chaîne de production. Ce sont des produits d’emballage, des enveloppes éparses qui sont là pour isoler. Ils constituent un ensemble de cadres diaphanes, mais n’ont presque aucune valeur en tant que matériau produit. » Avec une telle analyse « povériste » du matériau et des gestes simplifiés, Panchal assume une position critique « contre une idée de l’art qui serait du luxe, de l’étalage, de l’ostentation, du démonstratif avec une économie aussi conséquente que la forme ».

L’artiste est toutefois parfaitement conscient d’un piège que recèle le titre de cette exposition : « Le bémol que je mettrais à propos de l’intitulé “Pour un art pauvre”, c’est qu’il peut très vite prêter à quelque chose d’autre que notre position en réserve, qui serait dans l’air du temps : la crise, la décroissance, le retour à la terre. Toutes ces questions m’intéressent, mais qu’on ne s’y trompe pas, je ne fais pas de l’art de la décroissance ou de l’art de la dette européenne ! »

Autour de l’Arte Povera

EXPOSITION ARTE POVERA AU CARRE D’ART DE NIMES :
Informations pratiques. « Pour un art pauvre (inventaire du monde et de l’atelier) », jusqu’au 15 janvier 2012 au Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes (30). Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 5 et 3,7 €. http://carreartmusee.nimes.fr

EXPOSITION ARTE POVERA 2011 EN ITALIE :
Informations pratiques. « Arte Povera International » jusqu’au 19 février 2012 au Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea à Rivoli (Italie). Ouvert du mardi au vendredi de 10 h à 17 h et le samedi et dimanche de 10 h à 19 h. Tarif : 6,5 €. www.castellodirivoli.org

L’Arte Povera en son pays. L’Italie célèbre l’Arte Povera à travers huit expositions organisées dans sept villes jusqu’en avril 2012. Cet événement de grande ampleur est orchestré par le Castello di Rivoli et la Triennale de Milan et regroupe près de 250 installations. Il présente le mouvement depuis ses origines en 1967 jusqu’à ses créations les plus contemporaines et rassemble ses grandes figures comme Michelangelo Pistoletto, Giulio Paolini, Giuseppe Penone. Cette manifestation nationale qui mobilise les institutions du nord au sud du pays est aussi l’occasion de célébrer le 150e anniversaire de l’unification italienne.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Gyan Panchal du bon usage de la pauvreté

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