Fondation Henri Cartier-Bresson

Témoigner de « ce qui doit être corrigé »

Jusqu'au 18 décembre 2011

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 12 octobre 2011 - 680 mots

Sociologue de formation, Lewis W. Hine n’a cessé de rendre compte de la misère sociale environnante pour, à travers la photographie, éveiller les consciences,
avec délicatesse et dignité.

Immigrants venus d’Europe débarquant en 1905 à Ellis Island, taudis où s’entassent par familles entières ces nouveaux arrivants ou travail des enfants : inlassablement Lewis Wickes Hine (1874-1940) a photographié pour témoigner et sortir ses concitoyens de leurs préjugés ou de leur aveuglement devant une réalité qu’ils ne voulaient pas voir. Apporter un autre regard sur le monde du travail et batailler contre la misère, les inégalités et les injustices sociales engendrées par l’économie capitaliste et l’ère industrielle dans laquelle les États-Unis se développaient, tel fut sans faille l’engagement de cette grande figure archétypale et précurseur de la photographie sociale qui, avec l’Américain d’origine danoise Jacob Riis (1848-1914), réveilla les consciences.

Mais à la différence de Riis le journaliste pourfendeur, Hine a lutté toute sa vie pour représenter d’une manière digne et délicate ces hommes, ces femmes et ces enfants, que ce soit chez eux ou au travail, comme le révèle la subtile rétrospective de la Fondation Henri Cartier-Bresson, conçue avec la complicité de la George Eastman House, détentrice de la plupart de ses clichés, et en partenariat avec la Fondation Mapfre de Madrid associée au Nederlands Fotomuseum de Rotterdam.

Des images plus réelles que la réalité elle-même
Le sociologue et pédagogue que fut Hine avant d’être photographe entendait en effet avant tout créer une image « plus réelle que la réalité elle-même » où regard et corps pris au plus près avec de la « lumière à flots » renvoient à l’acuité et à la force d’une vision, d’une perception libre et sensible de la personne humaine. Son engagement auprès du National Child Labor Committee, dont il fut l’un des photographes attitrés, et ses enquêtes photographiques engagées un peu partout aux États-Unis témoignent de ce souci d’informer et de toucher.

Avant de photographier, Hine se documente sur les conditions de vie et de travail des hommes, des femmes, des immigrés ou des Noirs américains qu’il doit visualiser. Images et textes soigneusement composés peuvent ensuite devenir matière aux campagnes de sensibilisation menées par voie de presse ou d’affichage, d’expositions ou de conférences.

La pauvreté connue dans son enfance dans le Wisconsin, la mort aussi de son père quand il n’a que 18 ans et l’obligation alors de devoir exercer divers emplois pour subvenir aux besoins de la famille ont influencé son approche. Comme ses études d’art par la suite et la rencontre avec Frank Manny qui l’engagera dans des études d’enseignant avant de lui conseiller en 1903, à New York, d’apprendre la pho­tographie
.
Des madones d’Ellis Island, renvoyant aux peintures de la Renaissance, aux bâtisseurs héroïques de l’Empire State Building, Hine célèbre l’humain. « J’ai voulu montrer ce qui devait être corrigé ; j’ai voulu montrer ce qui devait être apprécié », écrira-t-il quelques années après son retour de France et des Balkans où la Croix-Rouge américaine l’avait missionné entre 1918 et 1920 pour couvrir les ravages de la guerre. Retour de Hine aux États-Unis, qui signe d’ailleurs un changement dans l’approche de ces hommes et de ces femmes au travail qui deviennent des héros modernes. Héroïsation qui culmine avec sa série sur la construction de l’Empire State Building en 1930 et 1931 qui marque la dernière commande importante passée au photographe. En 1940, Hine meurt dans le dénuement après dix ans passés à voir son travail jugé « pas assez moderne » et les commandes se tarir. Cruauté du monde du travail qu’il dénonça et dont, aujourd’hui, on déplore encore les ravages.

Autour de l'exposition

Infos pratiques. « Lewis Hine » jusqu’au 18 décembre 2011. Fondation Henri Cartier-Bresson. Du mardi au dimanche de 13 h à 18 h 30 et le samedi de 11 h à 18 h 45. Fermé le lundi et jours fériés. Tarifs : 6 et 4 €. Gratuit en nocturne le mercredi de 18 h 30 à 20 h 30. www.henricartierbresson.org.

Le 30 novembre, à 18 h 30, conversation avec Vincent Lavoie sur Lewis Hine. Réservation à : contact@henricartierbresson.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°640 du 1 novembre 2011, avec le titre suivant : Témoigner de « ce qui doit être corrigé »

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