Wunderman - La passion Jean Cocteau

Par Lina Mistretta · L'ŒIL

Le 26 septembre 2011 - 689 mots

Artiste fécond, glorifié de son vivant mais longtemps absent des collections nationales, Cocteau fut soutenu par Séverin Wunderman, collectionneur à qui Menton doit son nouveau Musée Cocteau.

La vie de Séverin Wunderman ressemble à un conte moderne, à la fois terrible et merveilleux, dont on pense en le lisant que l’auteur a parfois forcé le trait. Né en 1938 dans une famille juive polonaise de Bruxelles, il échappe à l’Holocauste, caché, par les bons soins d’un prêtre, dans un foyer pour enfants non-voyants. La guerre terminée, il émigre aux États-Unis après avoir suivi un apprentissage dans l’horlogerie. Là-bas, avec quelques dollars en poche, il démarre une activité horlogère. Grâce à un bel aplomb et à un sens aigu des affaires, Wunderman bâtit au fil des années une fortune immense, notamment en fondant les montres Gucci et en reprenant la société de montres suisse Corum. 

La complicité entre collectionneur et artiste
Dès l’âge de 16 ans, Séverin Wunderman est fasciné par l’œuvre de Jean Cocteau qu’il collectionnera toute sa vie. C’est avec son salaire d’apprenti horloger qu’il achète la première pièce de sa collection : un dessin de Cocteau consacré aux Enfants terribles représentant Jean Marais. Sa fortune se faisant et son sens artistique s’aiguisant, il acquiert dans de nombreuses ventes aux enchères et auprès d’antiquaires un nombre considérable d’œuvres de grands maîtres allant du XVIIe au XXe siècle. Mais ses liens avec Cocteau restent uniques et dépassent le simple cadre de l’admiration d’un amateur d’art pour un artiste. Le collectionneur partage avec le « prince des poètes » une véritable complicité. Les deux hommes se ressemblent. Comme Cocteau, Séverin Wunderman est un être non-conformiste, un esthète aux multiples talents et au goût éclectique. Tout en supervisant ses activités et sans cesser de collectionner, il organise des manifestations artistiques dans les domaines du spectacle vivant, du cinéma et des arts plastiques. Il lui arrive de défrayer la chronique bâloise par des expositions orientées tantôt vers les serpents exotiques terrifiants, tantôt vers les memento mori dont il raffole. C’est après avoir survécu à un cancer du poumon qu’il se passionne un temps pour des œuvres liées à la mort – « pour l’apprivoiser », dit-il –, allant jusqu’à décorer ses demeures d’objets d’art ornés de crânes et de vanités. Audacieux, l’homme est aussi généreux. Membre de la Spielberg Shoah Foundation, il développe et finance, entre autres,  des programmes de recherches médicaux dans le monde. En 1985, fortune faite, Wunderman fonde en Californie un premier musée dédié à Cocteau et à ses amis artistes : Modigliani, Miró, Foujita, De Chirico et Sarah Bernhardt, dont il détient un fonds de plusieurs centaines d’objets, tout en caressant le projet de faire revenir l’œuvre de l’artiste en France. Ce qui advient vingt ans plus tard. 

Un nouveau musée à la gloire du poète
En 2005, il fait don de 1 763 œuvres de sa collection à la ville de Menton en échange de la construction d’un musée. Menton, c’est le coup de cœur « méditerranéen » de Cocteau, il y séjournera régulièrement à partir de 1950 pour assister aux festivals de musique classique ou aux biennales internationales de peinture. Son premier petit musée, un bastion du XVIIe situé sur le port, sera conservé en complément du nouveau Musée Cocteau-collection Wunderman bâti par l’architecte Rudy Ricciotti [lire interview] et qui ouvre ses portes le 6 novembre 2011, trois ans après la disparition de son prodigue mécène. Son concept tourne autour de l’identité protéiforme de Cocteau qui fut pour le moins un artiste inspiré, un touche-à-tout : poète, cinéaste, romancier, dessinateur, réalisateur… Son œuvre est immense. Ses dessins innombrables – portraits, caricatures –, réalisés depuis son adolescence et jusqu’à la fin de sa vie, sont l’accompagnement de lettres, livres, poèmes qui retracent le quotidien de la vie, des rencontres importantes, des plaies que l’artiste a du mal à refermer et dont il se console dans l’opium. L’accrochage s’articule autour des arts graphiques et des arts du spectacle et retrace en sept étapes les grandes périodes de sa vie et son œuvre. Neuf cents œuvres au total qui constituent désormais le fonds public le plus important de l’artiste.

Autour de Jean Cocteau

La maison de Milly-la-Forêt

Achetée avec Jean Marais en 1947, la maison de Milly-la-Forêt (Essonne) devient un refuge pour Jean Cocteau qui y vécut jusqu’à sa mort en 1963. En 2002, Pierre Bergé et la région Île-de-France la rachètent pour en faire un lieu de redécouverte de l’œuvre du poète avec 500 tableaux, photographies, manuscrits, lettres et affiches mis en dépôt. Au premier étage de la maison, ouverte au public en 2010, une reconstitution de la chambre et du bureau plonge le visiteur dans l’intimité de Jean Cocteau. Deux galeries d’exposition présentent de nombreux portraits signés Picasso, Modigliani ou Warhol ainsi que des dessins et des photographies. À Milly, où il est enterré, son tombeau est orné de fresques et d’une épitaphe : « Je reste avec vous. » Prophétique… Ouvert du mercredi au dimanche, du 1er mars au 30 octobre de 10 h 19 h. Tarifs : 7 et 6 euros. www.jeancocteau.net

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°639 du 1 octobre 2011, avec le titre suivant : Wunderman - La passion Jean Cocteau

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