Design

La table des matières de la rentrée

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 23 août 2011 - 1591 mots

Au dernier salon Maison & Objet à Paris et au mythique Salon international du meuble de Milan – 2 700 exposants, 210 000 m2 – ont été présentées les nouveautés que vous allez retrouver en magasin dans les prochaines semaines. De nouvelles formes évidemment, mais aussi de nouveaux matériaux. Car, en dépit de la crise économique, les éditeurs se positionnent, signe encourageant, encore sur le terrain de l’innovation. Voici donc les matières en vogue de cette rentrée 2011.

Le bois plus blanc que blond
On connaît tous le bois blond, tendance scandinave. Mais, cette année, l’essence nouvelle pâlit d’un degré supplémentaire pour apparaître… « blanchie ». Ainsi en est-il de l’élégant mortier, Mortteli, et de la belle lampe tempête baptisée Loïste, autrement dit « éclat », imaginés respectivement par les Finlandais Katriina Nuutinen et Matti Syrjälä pour la firme Kaamos Archive. Le Néerlandais Aldo Bakker, lui, propose un étrange siège en orme blafard intitulé 3dwn1up – produit par la société Kuperus & Gardenier et distribué par la Particles Gallery –, constitué de trois pieds, le quatrième, inversé, faisant office de « dossier ».  De son côté, le Britannique Benjamin Hubert s’est inspiré des techniques traditionnelles de construction des bateaux pour concevoir le fauteuil Maritime (Casamania), simple feuille en contreplaqué de frêne cintrée dans une structure en frêne massif. Tandis que son compatriote Jasper Morrison a dessiné, pour la firme japonaise Maruni, la table Lightwood, fabriquée en un bouleau livide. Pour l’éditeur danois Normann Copenhagen enfin, le designer nippon Tatsuo Kuroda a créé la chaise Knot avec un bois également « blanchi ». Son originalité tient, en outre, dans ses points d’assemblage laissés volontairement protubérants, des nœuds – Knot en anglais – réalisés avec de la fibre végétale naturelle tressée. Visuellement, l’effet est réussi. Financièrement aussi : son prix devrait osciller autour de 375 euros.



Le cuir bien dans sa peau
Le cuir n’a, évidemment, jamais quitté la planète mobilière. Parfois, il se fait discret. Deux grandes maisons de couture, l’italienne Trussardi et la française Hermès, éditent ainsi pour la première fois leur propre collection de mobilier. Pour Trussardi, l’Anglais Michael Young imagine la ligne 100 Collection : une table haute, une banquette, une table basse, trois tabourets et une chaise, dans une esthétique rétro-futuriste associée au travail soigné des artisans-selliers de la marque. De son côté, Hermès a fait, elle, appel à deux Transalpins renommés : Enzo Mari et Antonio Citterio. Dans l’ensemble, c’est raté hormis peut-être un bureau dessiné par Mari et habillé, excusez du peu, de taurillon lisse.  Décidément en vogue cette année : la chaise intégralement gainée de cuir. Toujours chez Hermès, la chaise Sellier est un projet conçu conjointement par les designers Éric Benqué et Denis Montel. Ainsi en est-il également de la chaise Doyl de Gabriele et Oscar Buratti (B&B Italia), dont le cuir, grâce à de judicieuses lignes de coupe et de jonction, apparaît plié, arrondi et retourné, mais jamais coupé.  Mais d’un point de vue expérimental, le projet le plus singulier est celui du « cuir autoportant » imaginé par Riccardo Blumer et Matteo Borghi avec la firme Poliform. Leur chaise BB est fabriquée avec un cuir spécial qui devient lui-même un exosquelette, autrement dit : la structure portante de la chaise. Le vide formé à l’intérieur de cette enveloppe naturelle est, lui, empli de polyuréthane expansé léger. Détail subtil : les nervures du dossier rappellent les boucliers africains conçus avec de la peau de rhinocéros.


L’ère du 100 % recyclable
Pour tout éditeur qui se respecte, développement durable et recyclage sont désormais les deux mamelles de la recherche. C’est donc aujourd’hui la course à celui qui s’avancera au plus près du produit écologiquement parfait, autrement dit le recyclable à 100 %. En témoigne la chaise en polypropylène renforcé de fibre de verre Piana, dessinée par l’architecte anglais David Chipperfield pour le spécialiste des arts de la table transalpin Alessi, lequel produit pour l’occasion, cette année, son premier meuble. Idem chez la firme barcelonaise Mobles 114, avec la chaise Green conçue par l’Espagnol Javier Mariscal. Avec son assise en plastique et sa structure en bois ou en métal, elle s’affiche comme « 100 % recyclée et 100 % recyclable ». Cette compétition en recyclabilité génère de nombreuses pistes d’innovation. Ainsi, chez Moroso, le duo londonien Nipa Doshi & Jonathan Levien a imaginé le siège Impossible Wood en un matériau composite bio-plastique surnommé « bois liquide », un dérivé de la lignine composé à 80 % de fibres de bois et à 20 % de polypropylène. Avantage principal : il peut être utilisé dans des moules à injection classiques et donc prendre, a priori, n’importe quelle forme.  Autre pièce surprenante : la chaise Zartan de Philippe Starck pour Magis. Cette assise est, en effet, constituée d’une structure à quatre pieds en plastique d’origine végétale, accueillant une coque parfaitement ergonomique composée, elle, d’une matière on ne peut plus ébouriffante : un « compost » de bambou, de lin ou de chanvre, au choix. Si la forme reste, certes, plutôt classique, le matériau, lui, est assurément original et, a fortiori, naturel.


Le tricot pas tricard
Une bonne “grosse” couette... Pour un confort XXL, on n’a, pour l’heure, rien trouvé de mieux. Pas étonnant donc que le mobilier tente de reproduire ce type de sensations douillettes grâce à des matières sophistiquées et néanmoins moelleuses. Ainsi, pour l’entreprise britannique Established & Sons, les Français Ronan et Erwan Bouroullec ont dessiné le fauteuil Quilt, The Thing : une coque en fibre de verre habillée d’un tissu high-tech tendu façon nid-d’abeilles et doté d’une série d’inserts individuels en mousse judicieusement répartis.  Mais la spécialiste 2011 ès « sièges-doudounes » reste, à n’en point douter, l’Espagnole Patricia Urquiola, laquelle a produit un triumvirat détonnant. Pour la firme transalpine B&B Italia, elle a imaginé le fauteuil Husk, une flopée de coussins ultra-moelleux posés sur une coque en plastique rigide. Pour Kartell, la designeuse ibère a imaginé le sofa Foliage, une structure en technopolymère thermoplastique coloré s’apparentant à des branches naturelles dans laquelle vient se lover un gigantesque « coussin » constitué d’un rembourré de mousse de polyuréthane enveloppé dans un tissu élastique et brodé. Pour Moroso enfin, Urquiola conçoit le siège BiKnit, qui est non seulement un joli jeu de mots – beatnik est un synonyme de hippie et to knit, en anglais, signifie « tricoter » –, mais surtout un parfait clin d’œil à l’art du… tricot. L’assise figure, en effet, un point de jersey agrandi à outrance. L’entrelacement de la matière est autant décoratif que fonctionnel. L’impact visuel, lui, est en tout cas indubitablement spectaculaire.


Nouvelle carrière pour le marbre
Après ses « Vingt Glorieuses » des sixties et des seventies, le marbre reprend aujourd’hui du poil de la bête. Mieux : à travers une série d’initiatives diverses et variées, il retrouve même une certaine contemporanéité. Ainsi, le Japonais Takuya Matsuda a dessiné la table Lair, fabriquée par l’entreprise transalpine Sartori Marmi pour le collectif italien Edition of 6. De son côté, l’architecte helvète Mario Botta a conçu une collection de douze pièces uniques pour la White Moon Gallery, à Paris. Une autre galerie parisienne, Ymer & Malta, a, elle, réuni cinq designers ou duos pour une exposition intitulée « Marbre poids plume ». Résultat : une série d’objets étonnants, comme les étagères Disamare de Cédric Ragot, le tabouret Void du tandem A A Cooren ou les coupes Anneaux et Vacuum du duo Normal Studio, véritables dentelles de marbre.  Spécialiste du marbre blanc de Carrare, l’Italien Marsotto Edizioni, lui, n’a pas fait dans la dentelle justement. Il a, en effet, fait plancher pas moins d’une dizaine de designers internationaux – James Irvine, Jasper Morrison, Konstantin Grcic, Maddalena Casadei, Naoto Fukasawa, Thomas Sandell, Joel Berg, Ross Lovegrove, Alberto Meda, ainsi que l’incontournable trio en vogue suédois Mårten Claesson, Eero Koivisto et Ola Rune –, lesquels ont réalisé une vingtaine d’objets aux lignes claires et élégantes, parfois amusants. La table basse sans pieds Gallery, signée Claesson/Koivisto/Rune, fait penser à une Pierre de lait de l’artiste allemand Wolfgang Laib, dans une version, certes, définitivement figée.


Le plastique, en pleines formes
Dans l’industrie autre que mobilière, la technique du rotomoulage est employée depuis belle lurette. Ce procédé de mise en forme des matières plastiques consiste à les couler dans un moule sous forme de poudre ou de liquide, afin de reproduire la forme dudit moule. La mise en œuvre est donc aussi simple qu’une recette de gâteau. Elle comporte quatre phases : chargement de la matière dans le moule, chauffage, refroidissement et démoulage. Le mobilier d’extérieur est notamment fabriqué en plastique rotomoulé. Même le fauteuil romantico-baroque Proust créé par le théoricien italien Alessandro Mendini se retrouve, cette année, pour la première fois, produit de cette façon.  Force est de constater que ladite matière entre aujourd’hui de plus en plus à l’intérieur de la maison. Ainsi, l’Australien Marc Newson a-t-il imaginé, pour l’éditeur transalpin Magis, le lit superposable pour enfants Bunky, dont les volumes n’arborent aucun angle vif. Toujours pour Magis, l’Anglais Ron Arad a, lui, conçu le fauteuil Raviolo, comme un ruban d’un seul tenant. De son côté, le Japonais Tokujin Yoshioka a conçu, pour la firme Moroso, la chaise Moon, une coque en polyéthylène aussi ronde qu’une pleine Lune. Enfin, mieux – ou pis, c’est selon : cette année, la technique envahit même le rayon « luminaires ». Ainsi, le New-Yorkais Karim Rashid a-t-il conçu, pour Artemide, deux « suspensions » pour le moins étranges : Nearco, sorte d’étron argenté en lévitation, et Empirico, une forme tout autant organique, mais plus allongée façon churros. Bref, du rotomoulage à hauteur d’yeux.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°638 du 1 septembre 2011, avec le titre suivant : La table des matières de la rentrée

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