La Riviera - Côte d’art et d’Azur

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 24 juin 2011 - 1620 mots

L’union fait la force. Faisant sien cet adage, la Côte d’Azur fédère près de trente lieux d’exposition et près de deux cents artistes pour souligner le dynamisme de la création sur ses terres. Le point sur soixante ans d’agitation artistique.

C'est un truisme de le dire, les relations entre la création artistique et la Côte d’Azur sont légion et ont engendré, au fil du temps, de nombreuses situations durablement prospectives. La beauté du paysage méditerranéen, le plaisir naturel d’un bien-être « sous le soleil exactement », l’existence d’un réseau de structures très actives et le rôle déterminant qu’y ont joué certaines personnalités en sont les raisons essentielles. Terre d’accueil privilégiée des artistes tout au long du XXe siècle, elle en a aussi enfanté de nombreux. D’aucuns y ont laissé des traces indélébiles, à l’instar de Picasso et de Matisse, d’autres comme Yves Klein ou Ben l’ont portée sur les fonts baptismaux de mouvements ou de tendances d’avant-garde parmi les plus radicaux.

Comme en écho à l’exposition organisée en 1997 sur le thème « La Côte d’Azur et la modernité – 1918-1958 » et pareillement éclatée en différents lieux, une quarantaine d’acteurs culturels ont décidé de prendre le relais cet été pour faire valoir la réalité d’une scène toujours aussi créative. « L’art contemporain et la Côte d’Azur – Un territoire pour l’expérimentation, 1951-2011 » propose ainsi tout un lot de manifestations divisé en deux grands volets : l’un historique et scientifique, l’autre plus ouvert tous azimuts. Si le premier vise « à mettre en lumière la plupart des sujets ou des supports abordés par les artistes depuis 1951 », le second offre « un regard artistique complémentaire ou différent par rapport aux thématiques énoncées par la grande exposition historique ».
C’est dire si l’amateur d’art de passage sur la Côte d’Azur cet été a du pain sur la planche ! Pas moins de soixante ans d’agitation créatrice et de productions en tout genre, bref l’art contemporain et la Côte d’Azur à la (re- ?) découverte de lieux aussi divers qu’un musée, un château, une fondation, un parc écologique, une galerie privée, une structure associative, voire dans l’espace tout simplement public. 

Plusieurs lieux autour d’une « exposition » historique
Conçu autour de grands thèmes fédérateurs – la peinture et la sculpture autrement, la figure, la couleur et la performance –, le volet historique balaie assez largement la géographie côtière, de Mougins à Menton, en passant par Vallauris, Biot, Vence et Nice. Intitulé « La couleur en avant », le volet qu’en propose le Musée niçois d’art moderne et contemporain est à la mesure d’une interrogation propre aux artistes qui ont vécu ou travaillé dans la région. Qu’il s’agisse des tenants de la modernité comme Matisse et Picasso ou Chagall et Léger, d’aînés comme Honegger, Raysse ou Viallat, de plus jeunes comme Pascal Pinaud ou Cédric Teisseire. S’ils n’usent pas tous de la couleur dans la même intention, elle n’en demeure pas moins l’un des éléments pivots de leur démarche. Plus qu’en un autre endroit au monde, la couleur est ici sur la côte le vecteur d’une esthétique vitaliste, premier état de sensibilité de l’œuvre, comme l’a toujours revendiqué Yves Klein.
Le volet historique s’applique par ailleurs à faire voir comment nombre d’artistes ont envisagé « la peinture autrement ». D’un lieu à l’autre et des années 1960-1970 à nos jours, celle-ci montre ce qu’il en a été et ce qui persiste, au-delà du médium lui-même, d’une réflexion sur ses constituants et ses protocoles. Chez Fernand Léger, à Biot, les dernières peintures au pistolet d’Hartung, les tampons de Louis Cane, les tarlatanes de Noël Dolla trouvent écho chez Chagall à Nice dans les recherches d’effets de matière de Schiess, les tableaux avec plastique et chewing-gum de Figarella ou les aliments périssables de Blazy.

Aïcha Hamu, quant à elle, se retrouve seule chez Picasso à Vallauris avec une installation dont les images irisées se contentent d’effleurer la surface de cette ancienne chapelle qui abrite La Guerre et la Paix (1952), dernière œuvre politique de l’Espagnol. À l’Éco-parc de Mougins, en revanche, c’est « la sculpture autrement » qui est mise en exergue avec des artistes comme Arman, Dietman, Tatiana Trouvé et Stéphane Magnin, soulignant la métamorphose d’un art remis en question par les effets de la société de consommation et le règne de l’objet.
La figure, enfin, et la question de sa représentation sont abordées au château de Villeneuve, à Vence, et au Musée Jean Cocteau de Menton. Ici, elle est l’objet d’une interrogation au regard d’une formulation plus ou moins explicite des lisières de sa présence ; il en est ainsi d’une « forme de figuration délibérément exacerbée » chez Dubuffet, d’un « mode de suscitation » invasif chez Malaval, d’une mise en scène autobiographique et prothétique chez Ramette, d’un principe de masquage alimentaire chez Natacha Lesueur. Là, chez l’auteur du Testament d’Orphée, il y va d’une dimension exclusivement vidéographique dans une réflexion sur le statut de l’œuvre filmée et le retournement sur soi de la caméra, tel que le pratiquent des artistes comme Brice Dellsperger ou Éric Duyckaerts. 

La Côte d’Azur, un laboratoire pour la création
Composé d’un programme très chargé et géographiquement très éclaté, le second volet de cet été azuréen regroupe tout un lot de prestations qui détermine comme un florilège de la création contemporaine la plus vive. Il suffit, par exemple, de se rendre à la Galerie de la Marine, à Nice, pour en prendre le pouls. Elle est occupée par les diplômés 2011 de l’École nationale supérieure de la Villa Arson. Un véritable creuset où dénicher le futur de l’art contemporain.
Les structures associatives sont nombreuses sur la côte, elles sont de vrais lieux de ressources qui offrent toujours à découvrir de nouvelles propositions. Ainsi du groupe No-made, à Roure, dont les artistes se sont saisis du thème « Passe-[ports] méditerranéens » et déclinent à partir de ces trois mots toute une production autour des idées de liberté et de territoire. Ainsi également de L’Atelier expérimental, à Clans, qui accueille en résidence des artistes, les invitant à produire une « œuvre embarquée dans l’architecture », en résonance avec le lieu et en dialogue avec le village. Ainsi enfin d’Artmandat, à Barjols, qui présente le second acte d’un projet intitulé « Relatives », initié en octobre dernier à Nice, s’attachant à une création in situ et cet été dans le cadre d’une ancienne tannerie réhabilitée comprenant notamment trois grottes troglo­dy­tiques.

Versant institutionnel, l’Espace de l’art concret, à Mouans-Sartoux, accueille quant à lui une vision de l’art d’aujourd’hui vu à travers le prisme de ceux qui le collectionnent. Cette façon de prendre en compte le regard de l’autre participe à souligner l’importance et la qualité du nombre de collectionneurs qui existent dans la région. Juste au-dessus, à Grasse, capitale de la parfumerie, le visiteur ne manquera pas d’aller voir, ou revoir, le Musée Fragonard. Ce petit bijou offre une carte blanche à des artistes comme Berdaguer & Péjus, Gérard Collin-Thiébaut ou Brigitte Nahon qui font jouer leurs œuvres avec nos sens.
Il en est de même de deux installations tout à fait étonnantes. À Cannes, le centre d’art La Malmaison est littéralement envahi par une œuvre de Patrick Moya qui, sous forme de fresques peintes in situ sur la totalité des cimaises, nous emporte dans les tourbillons oniriques d’un voyage imaginaire. Au Lavoir, à Mougins, Céleste Boursier-Mougenot emplit les bassins de centaines de poissons rouges dont l’image surdimensionnée est visible à l’extérieur sur écran géant, accompagnée d’une musique involontaire captée par les caméras : une incroyable invention poétique.

À la différence de la capitale, l’été sur la Côte d’Azur, les galeries privées restent ouvertes. Aussi certaines d’entre elles participent à la fête. À tout « seigneure », tout honneur, Catherine Issert en profite pour fêter ses 35 ans de métier à Saint-Paul-de-Vence. « La » galerie d’art contemporain de la région n’a cessé de défendre les artistes qui y résident : Ben au premier chef, mais aussi Bernard Pagès et ses totems composites ou bien encore Jean-Charles Blais et ses papiers découpés. Beaucoup plus jeune, la galerie Espace À VENDRE n’en est pas moins prospective. Stéphane Steiner, Emmanuel Régent et Thierry Lagalla sont ses invités monographiques de l’été. Si le premier joue sur la corde raide de l’indicible, si le deuxième cultive le peu, le troisième est passé maître des pirouettes verbales et plastiques. Sur la Côte d’Azur, l’air est pur et propice à une création pleinement enjouée…

Questions à… Ben, artiste plasticien

Philippe Piguet : Voilà plus de 60 ans que vous êtes venu vous installer à Nice. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Ben : Simple question de tropisme maternel. Ma mère avait quitté Antibes pour aller vivre ailleurs, ici et là, en Italie, en Grèce, etc., sans jamais s’y sentir vraiment bien. Quand elle est revenue à Nice, en 1949, je l’ai suivie.

P.P. : Quelles étaient et quelles sont les qualités spécifiques à la Côte d’Azur propices à la création ?
Ben : Les cafés, les filles, la rue. À l’époque de Fluxus, ce n’étaient ni les musées, ni les galeries. Pas tellement plus aujourd’hui. Les moments de créativité, c’était quand on buvait et discutait au « Turin », au « Provence » ou au « Félix Faure ».

P.P. : Quelle est la dernière manifestation qui a retenu votre attention ?
Ben : C’est toujours dans des espaces à part où on s’attend le moins à trouver de la création. Comme à la Villa Cameline. Il y a aussi le lieu que je viens d’ouvrir, je l’espère. Surtout, c’est la promenade des Anglais [à Nice] avec la ligne d’horizon qui retient le plus mon attention. Il n’y a pas cela à Paris !

Autour du festival

« L’art contemporain et la Côte d’Azur, un territoire pour l’expérimentation 1951-2011 », une trentaine de lieux culturels.

Nice : Villa Arson, Mamac, Musée national Marc Chagall, Abattoirs-Chantier sang neuf, la Cinémathèque, DEL’ART, Espace À VENDRE, Forum d’urbanisme et d’architecture, galerie Depardieu, galerie de la Marine, galerie Sandrine Mons, galerie Sapone, Hôtel Windsor, l’Atelier Soardi, La Conciergerie, Le Dojo, La Maison, la Galerie Singulière, L’ÉCLAT, la Station, Théâtre de la photographie et de l’image. Menton : Musée Jean Cocteau, Palais de l’Europe. Cap-d’Ail : no-made. Beausoleil : galerie du Centre Culturel. Coaraze : installations dans la ville. Saint-Laurent-du-Var : le Module. Biot : Musée Fernand Léger. Vallauris : Musée national Pablo Picasso, Musée Magnelli, Musée de la céramique. Antibes : Fondation Hartung-Bergman. Cannes : Centre d’art La Malmaison. À Vence : Château de Villeneuve/Fondation Émile Huhues, galerie Chave. Saint-Paul : galerie Catherine Issert. Grasse : Musée de la parfumerie. Mouans-Sartoux : EAC. Mougins : Musée André Villers, installation au lavoir, galerie Sintitulo. Barjols : Artmandat. Carros : Centre international d’art Contemporain. Clans : l’Atelier expérimental.
www.artcontemporainetcotedazur.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°637 du 1 juillet 2011, avec le titre suivant : La Riviera - Côte d’art et d’Azur

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