Reims - Vaisseau de pierre et de mémoire

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 24 juin 2011 - 1085 mots

Malgré une histoire mouvementée, la vieille dame de Reims fête ses 800 ans cette année. Retour sur la construction de ce magistral vaisseau de pierre, à la fois tour de force architectural et chef-d’œuvre de la sculpture gothique.

Une prouesse. Aucun visiteur, un tant soit peu attentif, ne manquera d’être frappé par l’une des caractéristiques de la nef de Notre-Dame de Reims : sa grande homogénéité. Le rythme régulier de ses travées ne laisse en effet rien indiquer de la durée d’un chantier qui s’est pourtant étalé sur plus de quarante ans. Une période au cours de laquelle se sont succédé au moins quatre maîtres d’œuvre, dont les noms étaient inscrits sur le grand labyrinthe du pavement de la cathédrale, détruit au XVIIIe siècle. Soit, dans un ordre encore sujet à caution, Gaucher de Reims, Jean le Loup, Jean d’Orbais et Bernard de Soissons.  

Une unité architecturale exceptionnelle
Commencée vers 1208 après l’incendie de la première cathédrale carolingienne, elle-même bâtie sur d’anciens thermes gallo-romains, la construction s’est poursuivie jusque dans les années 1250. Une telle durée n’avait rien de rare à l’époque, tant ces chantiers colossaux relevaient d’une prouesse technique mais aussi financière. Faute de pouvoir construire très rapidement un nouvel édifice, les travaux consistaient alors à envelopper progressivement la construction initiale, maintenue en usage pendant la durée des travaux. 

Dans les élévations de la cathédrale, une unité a pourtant été maintenue délibérément. L’espace de ce vaste vaisseau de près de 150 mètres de longueur est régulièrement scandé par de larges piles circulaires, cantonnées par quatre colonnes engagées et terminées par des chapiteaux sculptés de motifs végétaux. En levant les yeux vers les ogives de la voûte, qui s’élève à 38 mètres de hauteur, le regard se pose sur les moulurations qui soulignent les différents niveaux, d’une écriture architecturale parfaitement maîtrisée : celui des grandes arcades, situées à 16 mètres de hauteur, du triforium puis des fenêtres hautes qui distribuent une abondante lumière.  

L’invention du gothique rayonnant
Au cours des longues années de chantier, en cette première moitié du XIIIe siècle, une révolution a pourtant eu lieu dans l’univers de la construction gothique. Une révolution que les historiens ont appelée plus tard le « gothique rayonnant », apparu dans les années 1230, du nom du mouvement du remplage des grandes rosaces qui percent alors les façades. 
Si elle induit un changement de style, l’irruption du gothique rayonnant est toutefois d’abord affaire de technique. Depuis l’époque dite du « gothique classique », qui aura vu la construction des cathédrales de Paris ou de Chartres dans les années 1200, les maîtres maçons ont en effet amélioré leur maîtrise de la stéréotomie, ou art de la coupe des pierres. Celle-ci leur permet notamment d’affiner les murs et de les percer davantage. Et sur le chantier, les pierres font désormais l’objet d’une préfabrication qui permet un gain de temps non négligeable. 

À Reims, ces évolutions techniques apparaissent précocement. Ainsi, un œil averti décèlera ce que les spécialistes appellent le « passage rémois », soit un léger retrait qui court le long de la partie inférieure des grandes baies, permettant de circuler au pied des verrières pour leur entretien. Or l’existence de ce passage n’est possible dans un édifice d’une telle ampleur que grâce à une innovation technique, celle de la fenêtre châssis qui fait de la baie un élément indépendant du mur. Cette avancée technique majeure permettra d’aller plus loin dans la recherche de dématérialisation de l’architecture, le mur disparaissant au profit de grandes verrières, dont le percement ne fragilise plus l’édifice. 

Preuve du grand soin apporté à cette construction, le chantier de Reims a fait l’objet d’un singulier travail de documentation. Vers 1215, le Picard Villard de Honnecourt, lui-même maître maçon, probablement alors en cours de formation, fait une halte sur le chantier de la cathédrale. Il consigne dans ses carnets, aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France, les croquis d’éléments observés sur place. Ainsi des gabarits ou modèles destinés à la taille des pierres laissent à penser que la construction a donné lieu à des études préliminaires très précises. 
Cette grande maîtrise technique est également perceptible dans les volumes extérieurs de la cathédrale, qui indiquent une volonté de donner au bâtiment un équilibre d’ensemble malgré ses proportions imposantes. De part et d’autre, les volées d’arcs-boutants viennent caler le vaisseau central en s’appuyant avec précision sur le point du mur, à l’extérieur, correspondant au départ des voûtes d’ogives.  

Les dommages de la Seconde Guerre mondiale
Élevée à partir des années 1250, la façade principale, à l’ouest, relève elle aussi d’une prouesse technique tout en étant un manifeste du nouveau style rayonnant. Sa grande rose est évidée jusque dans ses écoinçons inférieurs, donnant l’illusion d’un mur de lumière. Rythmée par ses trois portails surmontés de longs gâbles, la façade voit son épiderme de pierre disparaître sous la profusion du décor sculpté. Outre la galerie des rois, qui figure Clovis en position centrale, les portails mettent en scène un riche programme iconographique dédié à la Vierge, avec son célèbre groupe de l’Annonciation et son ange au sourire, à la Passion et à l’Apocalypse. 

Quasi achevée en 1286, à l’exception de ses tours, montées au XVe siècle mais jamais coiffées de leur flèche, la cathédrale ne sera plus guère transformée par la suite, malgré l’incendie qui ravage sa charpente en 1481. Restaurée une première fois dans les années 1860 par Viollet-le-Duc, c’est au cours de la Première Guerre mondiale que son sort a failli être scellé. En 1914, une pluie d’obus allemands s’abat sur Reims sans épargner le monument. Le feu qui sévit fait fondre la couverture de plomb, dont le métal s’écoule par les gargouilles comme en témoignent encore des éléments lapidaires conservés au Palais du Tau, l’ancien palais des archevêques transformé en musée. 
Après guerre, Henri Deneux dirige une longue et patiente restauration qui permettra également de mener des fouilles sur l’ancienne cathédrale, avant de s’achever en 1938. Pour la charpente, l’architecte conçoit un étonnant assemblage en ciment armé ignifugé. Cette inventivité technique place ainsi le restaurateur dans la lignée des précédents architectes de chefs-d’œuvre de la construction gothique. 

À lire

C’est un beau livre de plus de 540 pages que publient les éditions La Nuée Bleue à l’occasion des 800 ans de la cathédrale de Reims. Enrichie d’une très riche iconographie, cette somme due aux meilleurs spécialistes étudie la cathédrale sous tous les angles, historique, religieux et artistique.

La Grâce d’une cathédrale, Reims, éditions la Nuée Bleue, sous la direction de monseigneur Thierry Jordan, 543 p., 79 euros.

Autour de l’exposition

Infos pratiques. Programme complet et détaillé du 800e anniversaire de la cathédrale sur : www.cathedraledereims.fr
Nevers, l’autre cathédrale. Un demi-siècle après leur destruction, les 1 052 m2 de vitraux de la cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Nevers revoient la lumière du jour après près de 50 ans de restauration. Chaque espace restauré est le fruit de la collaboration d’un artiste et d’un maître verrier : Raoul Ubac et Charles Marq, dans les années 1970, François Rouan et Benoit Marq, pour les vitraux des chapelles, et Gottfried Honegger et Jean Mauret pour les fenêtres hautes. Les baies du chœur, signées Viallat et Dhonneur, évoquent la Jérusalem céleste dans un ruissellement coloré et une répétition de motifs tandis qu’Alberola et l’atelier Duchemin figurent l’Apocalypse au transept. www.bourgogne.culture.gouv.fr

Événements

Du 6 mai au 23 octobre 2011, les nombreuses manifestations organisées par la ville de Reims sont autant de bougies que les Rémois soufflent pour célébrer les 800 ans de la cathédrale. Parmi les expositions…

« Rêve de couleurs »
illumination de la façade occidentale de la cathédrale, du mardi au dimanche à 23 h en juillet et à 22 h en août

« La cathédrale et son bestiaire »
jusqu’au 30 novembre 2011 au Palais du Tau.
Ouvert tous les jours de 9 h 30 à 18 h 30. Fermé le lundi.
www.palais-tau.monuments-nationaux.fr

« Notre-Dame de Reims entre lumière et révolution, 1775-1793 »
jusqu’au 18 septembre 2011 au Musée-Hôtel Le Vergeur. Ouvert de 14 h à 18 h. Fermé lundi.
 www.museelevergeur.com

« La cathédrale de Reims comme vous ne l’avez jamais vue »
jusqu’au 30 août 2011 en l’église Saint-Jacques de 10 h à 18 h.

« Le “sixième architecte�? de la cathédrale : Henri Deneux, la mémoire d’un dévouement »
jusqu’au 30 septembre 2011 au Palais du Tau.
www.palais-tau.monuments-nationaux.fr

« La cavalcade des sacres de la cathédrale à Saint-Remi »
jusqu’au 31 octobre 2011 au Musée de Saint-Remi. Ouvert tous les jours de 14 h à 18 h 30 et de 14 h à 19 h le samedi et le dimanche.

« Chefs-d’œuvre »
jusqu’au 18 septembre 2011 au Cryptoportique de Reims. Tous les jours de 14 h à 18 h.

« La cathédrale engloutie, dans mille ans, la cathédrale de Reims… »
du 4 au 30 juillet 2011 à la Maison du département. Ouvert tous les jours de 9 h à 19 h et de 10 h à 18 h le dimanche et jours fériés.
Tous les renseignements sur www.cathedraledereims.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°637 du 1 juillet 2011, avec le titre suivant : Reims - Vaisseau de pierre et de mémoire

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