Un palais au service du pouvoir des Farnèse

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 25 janvier 2011 - 1136 mots

Le palais Farnèse, ambassade de France à Rome, ouvre ses portes pour une exposition qui raconte en creux l’histoire d’une des grandes familles de la Renaissance.

Là, sur la Piazza Farnese, en plein cœur de Rome, à quelques minutes de marche de la basilique Saint-Pierre du Vatican, se dresse l’un des plus beaux coffres de pierre et de marbre de la Renaissance italienne : le palais Farnèse. Témoin encore intact des grandes ambitions dynastiques et politiques d’Alexandre Farnèse (1468-1549), élu pape Paul III en 1534, véritable joyau d’architecture inspiré des canons de Vitruve, architecte romain du Ier siècle av. J.-C., ce palais haut de deux étages est gardé jour et nuit par des carabinieri italiens. C’est qu’au Farnèse, on n’entre pas comme dans un moulin : l’ambassade de France à Rome y est à demeure depuis 1874, comme le rappelle le drapeau tricolore hissé haut sur la façade principale, la plus austère, la plus belle aussi, hommage de l’architecte Sangallo à la façade d’une autre pépite architecturale de la Renaissance : le palais Strozzi à Florence. 

Le « renard farnésien »
Lorsqu’il naît en 1468, Alexandre Farnèse hérite des stratégies initiées au commencement du quattrocento par l’évêque d’Orvieto Guido Farnèse afin de conquérir le pouvoir. Famille de petits seigneurs provinciaux ayant gagné leurs terres grâce à la loyauté qu’ils témoignèrent aux papes, les Farnèse ont, dès Guido, le désir d’écrire eux-mêmes leur propre destin, dont chaque descendant devra être l’artisan zélé. La famille s’implante à Rome avec Ranuccio le Vieux, sénateur en 1417, et intègre dans la foulée la haute aristocratie romaine. Mais le chemin qui mène à la toute-puissance est long, et il leur faut désormais conquérir la ville papale, tâche qui reviendra au descendant Alexandre. Introduit dans la curie romaine dès ses 14 ans, Alexandre Farnèse étudie un temps à Florence dans l’entourage de Laurent de Médicis, après s’être miraculeusement échappé du château Saint-Ange où il fut retenu prisonnier à l’âge de 18 ans. Là, à Florence, plongé dans une atmosphère humaniste stimulante, il côtoie les artistes et les intellectuels les plus en vue, ce dont il se souviendra toute sa vie, pour le futur palais Farnèse comme pour la Sixtine vaticane. Ainsi, de retour à Rome en 1489, son appétit de pouvoir, et avec lui celui des Farnèse, est-il encore plus grand. À grands coups de ducats et d’alliances familiales, Alexandre obtient le chapeau de cardinal à 25 ans. Dès lors, il va s’attacher à servir les papes successifs, dont un autre Médicis, le pape Léon X qu’il eut le privilège de couronner en 1513, mais aussi à gérer la fortune familiale, jusqu’à sa propre élection en 1534. Il devient donc pape à 66 ans, plus d’un siècle après l’arrivée des ses aïeux à Rome ; le jour de son élection, les Farnèse entrent enfin dans la grande Histoire. Car le « renard farnésien », comme on le surnomme à Rome, fin diplomate et habile politicien, sera l’artisan en 1538 de la réconciliation entre François Ier et Charles Quint, dont il avait célébré la messe solennelle après son couronnement, huit ans auparavant. En 1545, c’est encore lui qui ouvrira le concile de Trente, qui durera dix-huit ans et confirmera, en réponse à la réforme protestante, la doctrine du péché originel. 

Le palais d’un pontife
La construction du palais Farnèse à Rome, en lieu et place de l’ancien palais Ferriz que la famille avait acquis en 1495, s’inscrit dans cette grande ambition dynastique dès, semble-t-il, 1508. Elle échoit en 1513 à l’un des architectes alors les plus considérés d’Italie : Antonio da Sangallo le Jeune, neveu d’un architecte que le futur pape avait fréquenté à Florence, ancien assistant de Bramante et qui dirigera, avec Raphaël, les travaux de la basilique Saint-Pierre. Alexandre Farnèse aurait, selon Vasari, commandé à Sangallo de lui construire « non plus le palais d’un cardinal, mais celui d’un pontife ». Tel en sera fait selon son désir… Mais le pape n’habitera jamais son palais, dont le chantier se poursuivra jusqu’en 1589 sous la direction de ses petits-enfants, les cardinaux Alexandre et Ranuccio – le seul à s’y installer vraiment – Farnèse. À partir de 1547, après la mort de Sangallo, c’est Michel-Ange, à qui Paul III a aussi confié les travaux de Saint-Pierre de Rome, qui en reprend la direction et qui complète la cour et le dernier étage. « Cet entablement passe pour le morceau le plus excellent en son genre », écrit Vasari. La découverte à cette époque dans la cour des thermes de Caracalla d’un groupe statuaire antique « représentant Hercule domptant un taureau, et entouré de divers personnages et d’animaux d’une beauté rare » (Vasari), le Taureau Farnèse, fait imaginer à Michel-Ange un plan urbanistique où le Taureau dominerait, et qui serait prolongé par un nouveau pont sur le Tibre. Mais le projet restera dans les cartons de l’artiste, et le Taureau, « parqué » dans un entrepôt, ne rejoindra pas les Hercules et les Flora de la cour du palais, si démonstrative de la puissance farnésienne avec sa superposition des trois ordres grecs (dorique, ionique et corinthien, voir p. 52). 

Le coffre aux trésors
Comme le Taureau, de nombreux objets antiques rejoignent au xve siècle le Museum Farnesianum au fil des découvertes archéologiques. Car si le palais demeure un coffre somptueux par son architecture et par son histoire, il a abrité des joyaux parmi les plus précieux de l’histoire de l’art : la Statue d’Aphrodite dite callipyge, L’Apollon en porphyre, des portraits par Titien (dont ceux, célèbres, d’Alexandre Farnèse), des peintures du Corrège, du Parmesan, de Mantegna, une extraordinaire collection de monnaies, une bibliothèque universelle… sans oublier les fresques ornementales des Carrache et celles, glorifiant les héros farnésiens, au milieu desquels trône le pape Paul III [ci-dessus], dans la salle des Fastes, signées des maniéristes Salviati et Zuccari. En 1731, après l’extinction des Farnèse, les Bourbon des Deux-Siciles héritent du palais et transfèrent ses biens – en dépit des dispositions testamentaires du Grand Cardinal Alexandre – à Naples, où ils constitueront l’essentiel des richesses des futurs musées d’Archéologie et Capodimonte. Installée dans le palais depuis 1874, et après en avoir été la propriétaire de 1911 à 1936, la France l’occupe aujourd’hui dans le cadre d’un bail emphytéotique qui court jusqu’en 2035, date à laquelle le Farnèse a de nouveau rendez-vous avec l’histoire.

Repères

1514 Début de la construction du palais Farnèse.

1534 Après l’élection, le 13 octobre, du pape Paul III (Alexandre Farnèse), le projet gagne de l’ampleur.

1546 À la mort de l’architecte Antonio da Sangallo le Jeune, Michel-Ange reprend la direction du chantier.

1552 Ranuccio Farnèse commande à Francesco Salviati la fresque de la salle des Fastes qui sera achevée par Taddeo Zuccari.

1589 Giacomo della Porta achève la construction du palais.

1597-1608 Réalisation des fresques de la Galerie par les frères Carrache.

Autour de l’exposition

Infos pratiques.
« Palais Farnèse, de la Renaissance à l’ambassade de France », jusqu’au 21 avril 2011. Palazzo Farnese, Via Giulia, 186, Rome (Italie). Tarifs : de 5 à 12 e. Réservation obligatoire au 00 39 06 32810. Visite de la salle des Fastes le week-end uniquement. www.mostrapalazzofarnese.it 

La Villa Médicis. 
Non loin du Farnèse, sur la colline du Pincio, se trouve la Villa Médicis, Académie de France à Rome, autre patrimoine de la Renaissance romaine qui appartient à la France. Construite à l’initiative de Ferdinand de Médicis au XVIe siècle, la Villa se visite aujourd’hui. www.villamedici.it

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°632 du 1 février 2011, avec le titre suivant : Un palais au service du pouvoir des Farnèse

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