Maison de Balzac

Louise Bourgeois - Lettre ouverte à Eugénie

Jusqu’au 6 février 2011

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 17 décembre 2010 - 381 mots

« Elle fait partie du tissu de ma vie », écrit Louise Bourgeois à propos d’Eugénie Grandet, la triste et douce héroïne balzacienne.

Tissu épinglé, tissé, piqué, dénoué par l’artiste qui aima plus tricoter et ressusciter les fils affectés de son enfance : mère humiliée, tendre et morte trop tôt, père manipulateur et adultère. À un trait de plume du tyran tonnelier de Saumur et de l’aimante Mme Grandet. Et Eugénie d’apparaître, çà et là, comme un infime mais tenace repère d’identification dans l’univers de l’artiste.

Quelques mois avant sa mort à 98 ans, en 2010, Louise se décide enfin à tout dire à Eugénie. Un exercice de reconnaissance qu’elle a voulu régler sur les lieux mêmes du crime : chez Balzac, dans la maison de la rue Raynouard, étroit dédale de petites pièces aux volets clos, dans lequel la – brève – exposition glisse sans difficulté son asphyxiant aveu. Pour encadrer la manœuvre d’exorcisme, deux grandes gouaches titrées My Inner Life. Au rez-de-chaussée, une longue Eugénie Grandet/Louise Bourgeois vivement profilée de rouge tendre. Au sous-sol, chevelure folle, entre gorgone et bouquet de cordons ombilicaux, le même nu, mais cabossé par de violents recouvrements de peinture, profil habité d’un fœtus hurlant. À droite de la vision, cinq citations balzaciennes brodées sur des petits panneaux grisâtres : « Ah ! maman j’étouffe », ou « Je n’ai jamais souffert ainsi ». Entre les deux allégories, une série de seize petites broderies fanées, rectangles de tissu, torchons, piqués de fleurs artificielles, perles, boutons de nacre ou aiguilles plantées dans le canevas. Un hommage secret, attendri et un brin vachard à son alter Eugénie.

Les petits ouvrages datés de 2009, renommés « Eugénie Grandet », s’étendent sagement sur les murs, entre herbier et reliquaire. « J’ai passé ma vie à me faire un trousseau, moi qui n’ai jamais été troussée/Un peu d’humour s’il vous plaît, pas de pitié qui serait déplacée et bête, écrit la vieille dame dans son Ode à Eugénie Grandet. Je ne suis pas bête, je ne suis pas bête/Je suis simplement malheureuse/Heureuse couseuse, heureuse laveuse, non je suis simplement malheureuse. » L’une se résigne. L’autre exorcise. Et règle ses comptes.

« Louise Bourgeois : Moi, Eugénie Grandet »,

Maison de Balzac, 47, rue Raynouard, Paris XVIe, www.balzac.paris.fr, jusqu’au 6 février 2011.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°631 du 1 janvier 2011, avec le titre suivant : Louise Bourgeois - Lettre ouverte à Eugénie

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