Jean Tinguely, hommage à New York

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 15 novembre 2010 - 347 mots

Hypnotisé par le mouvement dès son enfance, poussant ses expérimentations jusqu’à leurs confins nihilistes, Tinguely partage l’esprit provocateur des audaces dadaïstes.

Et comme eux, il n’oublie pas d’instiller une critique acerbe du progrès machinique : « Je mets la machine en doute, je crée un climat de critique, de ridiculisation. J’introduis de l’ironie. Mes machines sont ridicules ou alors elles sont belles, mais elles ne servent à rien. » Elles tombent en panne, affichent crânement une nature dysfonctionnelle. Face au monde occidental apparemment si bien huilé, les machines de Tinguely rouillent, patinent, couinent, peinent. Une ode à l’inefficacité, voilà ce que sont ses sculptures-performances. C’est dans le pays même du taylorisme, au sortir de l’héroïsme de l’expressionnisme abstrait, que Tinguely réalise son œuvre suicidaire qui fête cette année ses cinquante ans : Hommage à New York. Après trois semaines de préparation dans le jardin du MoMA, la sculpture de ferraille et d’objets trouvés, mit vingt-sept minutes à s’autodétruire dans une dramaturgie filmée par le cinéaste expérimental Robert Breer. « J’ai senti qu’avec Hommage à New York, j’avais fait quelque chose en avance sur son temps, parce que la conscience de l’autodestructivité de notre société n’était pas tout à fait élaborée. Les machines à dessiner et l’Hommage à New York se placent dans le contexte de l’après-guerre. » Les 250 invités venus assister à la mise à mort se livrèrent à une curée, emportant chez eux un morceau souvenir de ce corps épuisé. Deux ans plus tard, dans le Nevada, sur une base d’essais nucléaires de l’armée, en plein paroxysme de la guerre froide, Tinguely réalisera une seconde Étude pour la fin du monde. La destruction d’une de ses sculptures sous les objectifs des télévisions américaine et suisse préfigurait le goût horrifié des téléspectateurs pour la mort en direct, un an avant l’assassinat de John F. Kennedy. Roland Wetzel, directeur du musée Tinguely de Bâle, a bien raison d’insister sur l’acuité visionnaire de Tinguely. Pour mieux dépasser la simple séduction formelle, « trop facile » et qui a tendance à occulter la portée critique et politique de Tinguely.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : Jean Tinguely, hommage à New York

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