Marie Bonaparte - La liberté souveraine

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 26 octobre 2010 - 803 mots

Princesse Georges de Grèce, Marie Bonaparte, arrière-petite-nièce de Napoléon Ier, aurait pu se reposer sur ses titres et son ascendance. Il n’en fut rien, préférant devenir une grande figure de la psychanalyse française. Et vivre une vie de témérité...

Des portraits de Marie Bonaparte (1882-1962), il en existe de nombreux. Des photographies, bien sûr, mais aussi des pastels et des peintures, autant d’images qui tentent, souvent en vain, de fixer ce visage aimable, presque angélique, ce visage qui longtemps sembla ne pas devoir vieillir, comme si les affres du temps lui étaient étrangères.
Et, de tous ces portraits, en est-il un plus juste que les autres ou, comme le dit l’expression, « plus vrai que nature » ? En est-il un capable de dire la vraie nature de cette femme, celle qui se cache derrière la voilette et qui suinte dans les livres, celle qui se joue de paradoxes et d’ambiguïtés ? Loin de la douceâtre effigie qu’en livra Marguerite Pines de Merbitz en 1907 et qui dévoile une princesse tout absorbée par ses songes de princesse, est-il un portrait moins tautologique, moins vraisemblable mais plus vrai ?
Ou convient-il, finalement, de tous les regarder et de tous les décrypter pour, à partir de ces mille visages, recomposer celui – prismatique – de cette femme modèle, de ce modèle féminin ?

Bien naître
Si Marie Bonaparte usa de discrétion, parfois de secrets, il est une chose qu’elle peina à dissimuler : son ascendance. Nul besoin de savantes recherches onomastiques ou généalogiques pour apprécier le pedigree illustre de celle qui sera l’enfant unique du prince Roland Bonaparte et de Marie Blanc. Arrière-petite-nièce de l’Empereur, la jeune Marie, dès sa naissance à Saint-Cloud en 1882, voit son sort scellé à celui de l’Histoire. Presque malgré elle. Une vie d’apparat, en somme, que cette vie passée dans la vaste propriété clodoaldienne, d’autant que la jeune Marie jouit d’une seconde parenté prestigieuse, sa mère étant la fille de François Blanc, promoteur immobilier et fondateur du casino de Monte-Carlo.
En conséquence, la fillette représentée sur cette miniature en ivoire sertie de diamants (1890) [voir ci-contre] n’a certes que huit ans, mais elle peut, lorsqu’elle regarde derrière elle, évoquer un aïeul empereur – qui hante encore la famille jusqu’à prédisposer son propre nom – et songer à sa mère disparue qui lui lègue incidemment l’une des plus grosses fortunes de France.

Bien être
Une vie d’apparat, certes, mais une vie d’apparence. Devant ces fastes affichés, notamment dans le somptueux hôtel de l’avenue d’Iéna, édifié entre 1892 et 1899, imaginerait-on que la jeune Marie tente d’échapper à l’éducation autoritaire de sa grand-mère et rédige ses cahiers en allemand et en anglais, deux langues inconnues de cette dernière ? De même, qui penserait que son prince de père, fils de l’assassin de Victor Noir, se tourna à défaut vers la géographie et la géologie, conservant à cet effet 200 000 volumes et un herbier considéré comme l’un des plus importants du monde ?
Une vie superlative, donc. À l’image de ce mariage avec le prince Georges de Grèce qui, en 1907, fait de cette héritière perpétuelle une souveraine courtisée. Exposant bijoux, éventails et médaillons, le musée des Avelines permet de mesurer cette vie peuplée d’ors et d’argent, de voyages et de réceptions. Cette vie de châteaux et de cours.
Deux enfants plus loin – un prince et une princesse, nécessairement – et une guerre traversée, Marie Bonaparte aurait pu se contenter de cela, de vieillir sereine, presque comblée, rejouant le conte de fées et réécrivant l’histoire.

Mieux vivre
C’est que l’histoire est complexe et que la princesse peine à vivre en paix. En 1925, sa rencontre viennoise avec Sigmund Freud vaut pour salut personnel et pour promesse collective puisque, riche d’un entregent immense et de liquidités infinies, Marie Bonaparte contribue à fonder la Société psychanalytique de Paris en 1926 avant de permettre logistiquement l’exil londonien du psychanalyste en 1938.
Plus que l’étiquette et les titres, ce sont les actes et les lettres – ses traductions et ses ouvrages – qui inscriront la princesse dans l’Histoire, depuis son engagement décisif pour la psychanalyse jusqu’à son combat ardent contre la peine de mort.
Lorsqu’en 1960 elle vint réconforter Caryl Chessman, quelques jours avant qu’il ne soit exécuté dans une chambre de la mort anonyme, cette princesse amaigrie dut le lui dire, à lui aussi, qu’elle ne croyait plus depuis bien longtemps aux contes de fées…

Biographie

1882
Naît à Saint-Cloud. Elle est l’arrière-petite-nièce de Napoléon Bonaparte.

1907
Épouse le prince Georges de Grèce.

1925
Démarre une analyse avec Sigmund Freud.

1926
Cofondatrice de la Société psychanalytique de Paris.

1928
Exerce en tant que psychanalyste et traduit des textes de Freud.

1933
Publie une étude psychanalytique sur Edgar Poe.

1938
Permet à Freud de fuir Vienne.

1940
Publie De la sexualité de la femme.

1962
Décède à Saint-Tropez.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : Marie Bonaparte - La liberté souveraine

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